Le constat d’huissier s’impose comme preuve aux prud’hommes
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Des moyens de preuve en pleine évolution dans les litiges pour harcèlement
Les moyens de preuve devant le conseil de prud’hommes ont été profondément modifiés depuis qu’une grande partie des contentieux en entreprise portent sur des problématiques de harcèlement. Les enquêtes internes se sont multipliées, et le nombre de managers licenciés pour harcèlement – moral ou sexuel – est en constante augmentation. Or, lorsque ces derniers contestent leur licenciement devant la juridiction prud’homale, ils se trouvent souvent en situation d’infériorité procédurale.
Une atteinte au principe du procès équitable ?
En théorie, tout salarié a droit à un procès équitable, incluant la possibilité de connaître les faits reprochés, leurs auteurs, et de les contester. Mais en pratique, les employeurs produisent souvent des attestations anonymisées : des témoignages de salariés dont ni l’identité ni les fonctions ne sont précisées, et dont le contenu est souvent vague et peu circonstancié. Pourtant, conformément à l’article 202 du Code de procédure civile, une attestation doit indiquer : le nom, prénom, adresse et qualité de l’attestataire, et relater des faits précis, datés et circonstanciés. Faute de ces éléments, la défense du salarié licencié devient difficilement possible. Certains ripostent en produisant leurs propres attestations de collègues, conformes, elles, aux exigences légales.
Une priorité donnée à la protection des plaignants, au détriment de la défense ?
Aujourd’hui, la priorité est donnée à la protection des victimes et témoins de harcèlement au motif qu’ils pourraient subir des mesures de rétorsion de la part du salarié mis en cause. Cette logique conduit à anonymiser systématiquement les témoignages, au risque de déséquilibrer le débat contradictoire. Pourtant, rien ne permet de vérifier que les attestations anonymisées produites par l’employeur émanent réellement de salariés de l’entreprise. Il faut en effet souligner que les salariés licenciés pour harcèlement moral sont souvent des cadres expérimentés, âgés et bien rémunérés. Dans ce contexte, l’employeur ne peut être considéré comme un arbitre toujours impartial et pourrait avoir intérêt à utiliser l’accusation de harcèlement pour se séparer d’un salarié à moindre coût.
La Cour de cassation valide les constats d’huissier comme preuve recevable
Dans un arrêt du 19 mai 2025 (n°23-19.154), la Cour de cassation consacre l’usage du constat d’huissier comme mode de preuve recevable, en lieu et place des attestations anonymisées. Dans l’affaire concernée, plusieurs salariés s’étaient plaints du comportement agressif et menaçant de leur manager. Leurs témoignages avaient été recueillis par un huissier de justice, chargé d’établir un constat. Les propos rapportés ne permettaient pas d’identifier les auteurs, la formulation restant générale. Mais la Cour a estimé que ces constats étaient recevables, car établis par un professionnel responsable de ses actes, et fondés sur des éléments matériellement vérifiés.
Le constat d’huissier, un outil plus fiable et plus équitable
Par rapport à l’attestation anonymisée, le constat d’huissier présente deux avantages majeurs : Il garantit que les personnes entendues sont bien des salariés de l’entreprise, l’huissier ayant procédé aux vérifications nécessaires. Il assure que les propos mentionnés ont bien été réellement tenus, l’huissier étant présent lors des déclarations. De plus, le constat offre des garanties procédurales, respectant les exigences de loyauté et d’authenticité. Cela permet à la partie mise en cause de répondre sur le fond, tout en protégeant l’identité des témoins si nécessaire.
Une perspective probatoire aussi pour le salarié
Le salarié est d’emblée en situation d’infériorité lorsqu’il tente de produire des attestations de collègues encore en poste. Beaucoup d’entre eux refusent de témoigner ouvertement, de peur d’indisposer la hiérarchie ou d’être eux-mêmes mis en difficulté. Dans cette perspective, le recours au constat d’huissier pourrait aussi être une solution précieuse pour le salarié souhaitant établir sa défense. Il pourrait mandater un huissier pour recueillir les témoignages de collaborateurs favorables à sa cause, tout en garantissant leur anonymat, leur qualité de salarié et la réalité des propos tenus. Les constats seraient alors le gage à la fois de l’appartenance des témoins à l’entreprise et de la paternité certaine de leurs déclarations.
Conclusion
Du fait de cette jurisprudence récente, le recours aux constats d’huissier devrait se généraliser dans les contentieux pour harcèlement. Il constitue une alternative plus sécurisée, plus équilibrée et plus crédible que les attestations anonymisées produites unilatéralement par l’employeur. Il faut souhaiter, si l’on veut rétablir un juste équilibre des moyens de défense devant les prud’hommes, que les constats d’huissier produits à l’initiative des salariés soient retenus comme moyens de preuve recevables. Les constats d’huissier pourraient bien avoir de beaux jours en matière prud’homale.