La dénonciation préalable du harcèlement moral est-elle indispensable pour obtenir la nullité du licenciement ?

Publié le
La dénonciation préalable du harcèlement moral est-elle indispensable pour obtenir la nullité du licenciement ?

Une idée fausse mais profondément installée dans la pratique

La contestation d’un licenciement pour harcèlement moral donne lieu, depuis plusieurs années, à une croyance tenace : un salarié ne pourrait obtenir la nullité de son licenciement que s’il a dénoncé le harcèlement avant l’ouverture de la procédure disciplinaire ou de licenciement.

Cette idée s’est imposée en pratique pour une raison simple :

  • Beaucoup de salariés n’évoquent le harcèlement moral qu’au stade prud’homal, pour la première fois,
  • De sorte que leur dossier apparaît fragile puisque rien, avant le licenciement, ne laisse deviner qu’ils étaient victimes de tels agissements.

Pourtant, cette croyance est juridiquement inexacte.

L’origine du malentendu : une lecture incomplète de l’article L. 1152-2 du Code du travail

Le texte fondateur dispose qu’aucun salarié ne peut être licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral.

La pratique s’est focalisée sur la seconde branche « refusé de subir », interprété comme une dénonciation préalable.

Or, la première branche du texte — « pour avoir subi » — a été largement oubliée.

Pourtant, elle ouvre une voie tout aussi puissante : si le salarié a effectivement subi des agissements de harcèlement moral, le licenciement qui s’inscrit dans cette dynamique peut être considéré comme le dernier acte du harcèlement.

C’est précisément la lecture adoptée par la Cour de cassation.

La jurisprudence : le licenciement injustifié peut constituer le dernier acte du harcèlement

Depuis plusieurs années, la Cour de cassation juge que lorsque l’employeur a eu un comportement harcelant à l’égard d’un salarié et qu'il lui inflige ultérieurement un licenciement injustifié, ce licenciement participe des agissements de harcèlement et peut être annulé.

Autrement dit la nullité peut être prononcée même en l’absence de dénonciation préalable du harcèlement.
Ce qui compte, c’est le lien entre les agissements de harcèlement et la rupture.

Une nouvelle confirmation : Cass. soc., 19 novembre 2025, n° 24-12.287

Dans un arrêt du 19 novembre 2025 (n° 24-12.287), la Cour de cassation apporte une illustration particulièrement limpide.

Elle valide la décision de la cour d’appel de Grenoble du 16 janvier 2024, qui avait annulé le licenciement du salarié d’un EHPAD ayant reçu deux avertissements avant de faire l’objet d’un licenciement pour faute grave.

Les avertissements — jugés injustifiés — portaient sur des reproches étonnants :

  • avoir inscrit sur un registre « non approprié » les propos racistes dont il était victime ;
  • avoir chargé son téléphone portable dans une autre pièce que le vestiaire ;
  • avoir pris sa pause dans une salle où se trouvaient des résidents.

Le licenciement pour faute grave reposait sur des motifs tout aussi arbitraires.

La cour d’appel de Grenoble avait constaté :

  • que les sanctions étaient injustifiées,
  • que le licenciement ne reposait sur aucune cause réelle et sérieuse,
  • et surtout que l’employeur n’établissait pas que le licenciement était étranger à tout agissement de harcèlement moral.

Devant la Cour de cassation l’employeur soutenait que le harcèlement moral et le licenciement étaient des situations distinctes, même si elles étaient concomitantes, et que c’était au salarié à apporter la preuve que le licenciement était en lien avec le harcèlement.

Or, la Cour de cassation ne s’est pas contentée d’approuver le raisonnement de la cour d’appel, elle en a renforcé la portée. Alors même qu’il était établi que le salarié avait subi, pendant plusieurs mois, des agissements de harcèlement moral, la Haute juridiction relève expressément qu’ « il ressortait l’existence d’un lien direct entre le harcèlement moral et le licenciement ».

Ce lien direct change tout. Il signifie que le licenciement n’est pas un événement isolé, détaché du contexte. Il est l’aboutissement du harcèlement moral visant à se séparer d’un salarié. Dès lors, il ne peut produire aucun effet : il est nul.

C’est donc à l’employeur et non pas au salarié qu’il appartenait de prouver que le licenciement était sans lien avec le harcèlement. Preuve très difficile sinon impossible à apporter quand il est établi que les motifs du licenciement sont faux.

Dans cette configuration, la nullité du licenciement s’impose presque naturellement.

Conclusion

Même sans dénonciation préalable du harcèlement, le salarié peut obtenir la nullité du licenciement, à la double condition :

  1. d’établir qu’il était effectivement victime de harcèlement,
  2. de démontrer que les motifs de son licenciement sont infondés.

Les conséquences financières sont alors sans commune mesure avec celles d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse plafonnées par le barème MACRON.


À propos de Cadre Averti

Conçu par Françoise de Saint Sernin, avocate spécialisée dans la défense des intérêts des cadres et dirigeants au sein du cabinet saintsernin-avocats.fr, Cadre Averti a pour ambition de répondre aux premières interrogations de salariés confrontés à un aléa de carrière. Ce site propose ainsi un grand nombre de fiches techniques permettant immédiatement de comprendre les enjeux d’un dossier et de se repérer dans le maquis des textes.

Nous suivre


LE COMICS À LA UNE

Témoignages
Appel à témoignage

Vous avez vécu une situation professionnelle singulière qui n'est pas traitée par Cadre Averti ?
Vous pouvez nous en faire part de façon anonyme afin d'enrichir le site.

Laissez-nous un message à :
temoignage@cadreaverti-saintsernin.fr
Merci à vous

LES THEMES LES PLUS CONSULTÉS

Préavis et congés payés

Mon contrat de travail prévoit que je dois effectuer un préavis. Qu’est-ce que c’est ? Le préavis est la période de travail postérieure à la remise de la lettre de démission ou de licenciement.

La rupture conventionnelle

La rupture conventionnelle est un cas de rupture du contrat de travail français à durée indéterminée introduit par la loi portant modernisation du marché du travail du 25 juin 2008. Cette rupture

Indemnités au prorata : 13ème mois, primes d’objectifs, participation

13ème mois, primes d’objectifs, participation… le contentieux judiciaire des primes et autres émoluments est à la mesure de l’importance de ce mode de rémunération. Un salarié qui quitte l’entreprise

Contrat de sécurisation professionnelle

Le Contrat de sécurisation professionnelle (CSP) est destiné aux salariés licenciés pour motif économique par une entreprise dont l’effectif est inférieur à 1000 personnes. Ce dispositif a comme

Testez vos connaissances en droit du travail

Quiz - Discrimination ou non : saurez-vous faire la différence ?
Françoise de Saint sernin

Avocate en droit du travail, a créé et anime le site Cadre Averti

Françoise de Saint sernin

Coordonnées du cabinet :

SCP Saint Sernin - 156, avenue Victor-Hugo - 75116 Paris
Tél : 01 40 67 95 93
saintsernin-avocats.fr