Enregistrement produit en justice : un moyen de preuve désormais utilisé autant par l’employeur que par le salarié

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Enregistrement produit en justice : un moyen de preuve désormais utilisé autant par l’employeur que par le salarié

L’arrêt du 22 décembre 2023 de la Cour de cassation a marqué une rupture nette : il n’est plus possible d’écarter automatiquement un enregistrement au seul motif qu’il a été réalisé à l’insu de son auteur. Le juge doit désormais procéder à un contrôle articulé autour de deux critères — la nécessité du moyen de preuve et la proportionnalité de l’atteinte portée aux droits de la personne enregistrée.

Depuis lors, les juridictions prud’homales ont dû s’habituer à analyser des conversations parfois secrètes, souvent conflictuelles. L’enregistrement illicite est « entré dans les mœurs ». Mais l’analyse des décisions récentes montre qu’il ne s’agit ni d’une arme absolue, ni d’un passeport automatique vers la victoire judiciaire.

C’est ce qui résulte de plusieurs arrêts récents.

L’enregistrement illicite : un outil probatoire utilisé également par l’employeur

Un exemple frappant résulte d’un dossier jugé par la cour d’appel de Metz le 24 septembre 2025 (RG N° 23/00125). Cette fois, ce n’est pas le salarié qui avait enregistré l’entretien, mais l’employeur lui-même. Méfiant, peut-être anticipant le litige, il avait pris soin d’immortaliser la rencontre au cours de laquelle il proposait à la salariée de signer une rupture en période d’essai. La salariée refusait, invoquait une altercation et déclarait immédiatement un accident du travail, avant d’affirmer par la suite que la rupture notifiée le lendemain par courrier n’était qu’une mesure de représailles.

La cour d’appel a accueilli cet enregistrement, considérant qu’il permettait utilement d’apprécier la réalité des faits allégués. Cet élément a conduit à rejeter les prétentions de la salariée. On constate que l’enregistrement n’est pas l’apanage du salarié cherchant à se défendre, il est aussi un instrument de sécurisation pour l’employeur.

L’enregistrement illicite : une arme du salarié face aux pressions de l’employeur

Une autre affaire, jugée par la Cour de cassation le 10 juillet 2024 (n° 23-14.900), met en lumière la situation inverse : celle du salarié qui n’a d’autre choix que d’enregistrer pour établir des pressions exercées par l’employeur. La salariée expliquait qu’on lui avait demandé de signer une rupture conventionnelle sous la menace d’un licenciement sans indemnités. L’enregistrement, seul élément matériel permettant d’établir ces propos, a été admis. La salariée a obtenu gain de cause concernant la reconnaissance du harcèlement moral.

L’admission de l’enregistrement ne signifie pas victoire

Les deux décisions ci-dessus citées pourraient donner l’impression que l’enregistrement, une fois admis, assure presque mécaniquement la victoire au fond. Or, les affaires suivantes démontrent l’inverse.

Un motif différent lors de l’entretien préalable et dans la lettre de licenciement

Ainsi, dans un dossier examiné par la cour d’appel de Besançon le 9 septembre 2025 (RG n° 23/01438), le salarié avait pris soin d’enregistrer son entretien préalable. On y entendait clairement l’employeur évoquer un grief sans rapport avec celui qui sera finalement retenu dans la lettre de licenciement. Une incohérence flagrante qui aurait pu laisser penser que la procédure était irrémédiablement entachée. L’enregistrement est admis mais la suite surprend, la cour considère qu’il ne s’agit que d’une « irrégularité de forme qui n’empêche pas le juge de décider que ce grief peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement » et le refus de respecter une procédure de gestion des stocks, tel que mentionné dans la lettre de licenciement justifie la confirmation du licenciement pour faute grave.
Alors que le salarié avait mis en lumière le dysfonctionnement évident de l’entretien préalable, on peut légitimement se demander à quoi sert cet entretien si le juge peut écarter ce qui s’y dit pour ne retenir que le contenu de la lettre.

Des propos d’une violence extrême mais pas de harcèlement moral

La Cour d’appel de Montpellier, dans un arrêt du 20 mars 2024 (RG n° 22/00062), a eu à connaître d’une affaire encore plus saisissante. Le salarié avait conservé un enregistrement dans lequel son supérieur le menaçait de façon particulièrement violente : « Tu fermes ta gueule, tu arrêteras je te dis, tu ne comprends pas que ça va mal finir pour toi. Tu es fou. Tant que je serai là, tu es mort. Je ne suis pas là pour longtemps, je vais te tuer même si je me saborde. Je vais te faire la guerre, je vais te mettre sur la gueule. J’ai pris la décision et quand on prend la décision on va jusqu’au bout ». Une telle diatribe laissait penser que la qualification de harcèlement moral ne ferait aucun doute. L’enregistrement est admis comme moyen de preuve. Pourtant, la cour déboute le salarié. Elle constate qu’il ne s’était pas plaint à l’époque, se contentant de conserver l’enregistrement, qu’il avait été arrêté pour maladie 6 mois plus tard, qu’il avait ensuite fait l’objet d’un licenciement pour inaptitude et qu’il avait alors demandé à ce que le licenciement pour inaptitude soit requalifié en résiliation judiciaire au motif du harcèlement moral subi.

Il n’obtenait pas gain de cause au motif que l’enregistrement dont il ne s’était pas plaint était ancien et qu’il ne démontrait aucun autre fait de harcèlement moral, lequel n’était donc pas reconnu. Toutefois, la Cour d’appel, contrairement au conseil de prud’hommes, donnait satisfaction au salarié en constatant que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse, ce parce que l’employeur n’avait pas exécuté de bonne foi son obligation de reclassement lors de la déclaration d’inaptitude.

Cette série de décisions permet de tirer plusieurs conclusions

D’abord, l’enregistrement illicite est désormais pleinement intégré dans la pratique contentieuse : salariés et employeurs y recourent indifféremment. Il peut même être produit pour la première fois devant la cour d’appel, dès lors qu’il soutient une demande déjà formée.

Ensuite, la grille d’analyse issue de l’arrêt du 22 décembre 2023 est appliquée de manière rigoureuse : absence d’autre moyen de preuve, proportionnalité par atteinte à la vie privé. Ce contrôle permet d’éviter que l’enregistrement ne devienne un outil de surveillance généralisé.

Enfin, et c’est le point essentiel : l’admission de l’enregistrement ne garantit rien. Un enregistrement peut bouleverser un dossier comme il peut rester de faible portée. Il peut établir un fait, sans pour autant emporter la qualification juridique recherchée. Il peut révéler une scène violente, sans suffire à caractériser un harcèlement. Il peut montrer une irrégularité de procédure, sans affecter la cause réelle et sérieuse du licenciement.

Il appartient à la partie qui entend produire en justice un enregistrement illicite de le faire avec discernement.

 


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