Comment prouver le harcèlement moral au travail : les règles précisées par la justice

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Comment prouver le harcèlement moral au travail : les règles précisées par la justice

En cas de harcèlement moral au travail : comment le prouver ? Est-ce le salarié qui doit apporter des preuves ou l’employeur qui doit prouver son absence ? La Cour de Cassation confirme lapidairement, le 22 mars 2023 (pourvoi n° 21-23.455) un arrêt de la Cour d’Appel de Versailles qui applique de façon particulièrement précise et exhaustive les règles de la reconnaissance, par la justice, du harcèlement moral.

La difficulté des salariés pour prouver le harcelement moral

En l’occurence, le dossier du salarié, Monsieur X, ne plaidait pas forcément en sa faveur. Il se plaignait d’avoir été harcelé par sa responsable hiérarchique au retour du congé maternité de cette dernière, alors qu’il l’avait remplacée pendant son absence. Il aurait alors réclamé la rupture conventionnelle. Ne l’ayant pas obtenue il serait tombé malade. Huit mois plus tard, il se faisait licencier pour inaptitude. C’est alors qu’il aurait saisi le Conseil de Prud’hommes pour demander la requalification de son licenciement pour inaptitude en licenciement nul au motif qu’il avait été harcelé. On pouvait donc craindre que le salarié au demeurant complètement débouté par le Conseil de Prud’hommes ne soit un manipulateur et c’est pourquoi il convenait d’examiner avec circonspection ses accusations de harcèlement moral. (Pour aller plus loin : Harcèlement moral au travail : quand et comment saisir la justice ?). 

Le principe de la preuve « partagée » pour prouver le harcèlement moral en justice

Comment prouver le harcèlement moral au travail ? La Cour d’Appel rappelle tout d’abord le principe de la preuve « partagée » en matière de harcèlement moral. Il est en effet difficile pour un salarié d’apporter la preuve du harcèlement moral qu’il a subi. Ce dernier ne peut compter sur le soutien de ses collègues qui se mettraient en difficulté s’ils prenaient parti pour lui contre l’employeur, et ce même si la personne qui témoigne d’une situation de harcèlement subi par quelqu’un d’autre est protégée (Pour aller plus loin, voir notre article La protection du témoin qui dénonce des faits de harcèlement contre le licenciement).

C’est pourquoi le législateur a prévu un aménagement de la preuve, en application de l’article L.1154-1 du code du travail tel que mentionné par la Cour d’Appel : 

« Lorsque survient un litige, le salarié établit de faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ». 

Les faits rapportés par le salarié appréciés en fonction des justifications invoquées par l’employeur

La Cour d’Appel se livre à un examen rigoureux des éléments factuels présentés par le salarié, en prenant en compte à chaque fois les arguments invoqués par l’employeur, ainsi : 

  1. Sur la « mise à l’écart volontaire du salarié », elle constate qu’il « n’apparait pas illégitime » que Madame A, la supérieure hiérarchique de Monsieur X ait tenue seule des réunions, ce dernier ayant par ailleurs été convoqué à d’autres réunions. En conséquence, selon la Cour, « Le fait n’apparait donc pas établi ». 
  2. Sur le « recrutement de Madame L ». Monsieur X se plaignait qu’on lui ait imposé une collaboratrice contre son gré, alors que selon l’employeur il ne s’agissait que d’un « détachement temporaire », « dans ces circonstances le fait n’est pas établi ». 
  3. Sur le refus d’affecter à Monsieur X un service qu’il avait créé. La Cour estime que cette décision « relevait du pouvoir de direction de l’employeur. Dans ces conditions le fait n’est pas établi ».
  4. Sur la « dégradation des conditions de travail du salarié », la Cour ne retient ni le refus de consentir à Monsieur X la rupture conventionnelle qu’il avait sollicité, cette dernière « nécessitant l’accord des deux parties », ni un tract syndical dénonçant la « dévalorisation des managers après plusieurs années de bons et loyaux services pour les pousser à quitter l’entreprise », ni les brimades et actes de dénigrement de la supérieure hiérarchique, faute d’éléments probants. 

En revanche, d’autres faits rapportés par le salarié sont retenus : 

  1. Sur le « comportement humiliant de la supérieure hiérarchique matérialisé par le document Power Point du 9 novembre 2016 ». La Cour constate que Madame A, lors de son retour de congé maternité, établissait, selon un document Power Point largement diffusé au sein de l’entreprise « un constat très négatif, en des termes particulièrement brutaux » de la façon dont Monsieur X avait géré le service en son absence. Ce alors qu’il avait fait l’objet d’une excellente évaluation pour l’année précédente et avait été augmenté. Pour la Cour, « le fait est par conséquent établi ».
  2. Sur l’absence de remplacement du salarié dans son poste. La Cour constate qu’alors que le poste de Monsieur X faisait effectivement doublon avec celui de Madame A, « l’organigramme postérieur à son départ produit par Monsieur X, montrait qu’il n’avait pas été remplacé ». 
  3. Sur l’absence de réponse par l’employeur à la dénonciation d’une situation de souffrance au travail pour la salarié, la Cour Constate que « Il n’est justifié d’aucune réponse à ce courrier ».
  4. Sur l’absence d’enquête. Selon la Cour le fait que la salarié ait demandé la rupture conventionnelle n’exonérait pas l’employeur de procéder à une enquête sur les faits de harcèlement qu’il avait dénoncés auparavant. « Cette demande du salarié, tout comme son arrêt maladie qui n’a démarré que le 29 novembre 2016, n’étaient pas de nature à dispenser l’employeur de faire immédiatement entendre Monsieur X par le Directeur des ressources humaines et de mener une enquête sur les faits dénoncés ».
  5. Sur la dégradation de l’état de santé. Monsieur X produisait un grand nombre de certificats médicaux relatant un état de santé très dégradé du fait d’une situation professionnelle altérée. La réponse de la Cour sur ce point est la suivante : « s’agissant de l’état de santé, comme le relève l’employeur, l’ensemble des certificats et attestations ont été établis à partir des dires du salarié. Si les pièces médicales ne sont pas de nature, à elles seules, à démontrer l’existence d’un lien entre l’état de santé constaté et l’activité professionnelle de l’appelant, il en va différemment lorsque comme en l’espèce d’autres faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral sont établis ».

Au final, la Cour se prononce ainsi : 

« Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’employeur échoue à démontrer que les faits matériellement établis par Monsieur X sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le harcèlement moral est établi ».

Preuve du harcèlement moral  au travail : Les conséquences de la reconnaissance en justice

Si le salarié apporte la preuve, en justice, de la réalité du harcèlement moral au travail qu’il avait dénoncé avant de se faire licencier, sauf s’il n’y a aucun lien entre le harcèlement et le licenciement, le licenciement est annulé. C’est le cas pour un licenciement pour faute, insuffisance professionnelle, cause économique, et même pour inaptitude. 

Le salarié peut alors réclamer soit sa réintégration dans l’entreprise, soit uniquement des dommages et intérêts en réparation de la nullité du licenciement. Il obtient à ce moment-là un minimum de 6 mois de salaire. 

En l’occurrence Monsieur X qui ne demandait pas sa réintégration dans l’entreprise, a obtenu, alors que son salaire était de 5.500 € par mois, une somme de 50.000 € soit correspondant à 9 mois de salaire. Il a également obtenu, un mois de salaire en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral, un mois de salaire en réparation du manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité et une indemnité de préavis de 3 mois qu'il n'avait pas touché lors de son licenciement pour inaptitude.

En définitive, l’arrêt de la Cour d’Appel de Versailles du 9 septembre 2021, entièrement confirmé par la Cour de Cassation, dresse un panorama complet des règles qui permettent de faire reconnaitre le harcèlement moral en justice. Au vu des éléments factuels produits par le salarié, l’employeur devra démontrer que les agissements qui lui sont reprochés ne relèvent pas du harcèlement moral. (Pour aller plus loin : Pourquoi faut-il systématiquement dénoncer des faits de harcèlement moral quand on est victime ?). 

 


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