Harcèlement moral reconnu en justice sans plainte préalable du salarié
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Selon la croyance répandue, la condition pour bénéficier de la protection attachée au harcèlement (à savoir la nullité du licenciement qui s’ensuit) est de l’avoir dénoncé avant le déclenchement de la procédure de licenciement. Or, l’article L.1152-1 du Code du travail qui définit le harcèlement moral n’exige pas cette condition. C’est ce que rappelle la Cour de Cassation par un arrêt du 11 mars 2025.
La protection assurée au salarié qui dénonce une situation de harcèlement moral
Quand un salarié dénonce une situation de harcèlement moral, il est alors protégé par la loi de modernisation sociale de janvier 2002. S’il est par la suite licencié et si le Conseil de Prud’hommes constate que les faits de harcèlement étaient exacts, il applique la sanction de l’article L.1152-3 du Code du travail, soit la nullité du licenciement intervenu postérieurement à la dénonciation d’une situation de harcèlement.
En revanche, si les faits de harcèlement ne sont pas établis, ou si, alors que les éléments factuels avancés par le salarié laissent supposer une situation de harcèlement mais que l’employeur démontre que les décisions qu’il a prises étaient justifiées et exemptes de désir de nuire au salarié et donc de harcèlement, il n’y aura pas de nullité du licenciement.
Le salarié qui a dénoncé une situation de harcèlement peut-il obtenir la nullité de son licenciement alors que le harcèlement n’est pas établi ?
Il y a deux cas dans lesquels le salarié peut effectivement obtenir la nullité de son licenciement alors que le harcèlement n’est pas établi.
- Le premier découle de l’obligation de l’employeur de veiller à la santé et à la sécurité de ses salariés.
Un salarié qui dénonce une situation de harcèlement moral est potentiellement en souffrance. L’employeur doit traiter sans délai sa plainte. Jusqu’à un arrêt de la Cour de Cassation du 12 juin 2024 (n°23-13.975) il était dans l’obligation de procéder à une enquête. Si l’enquête concluait à l’absence de harcèlement, il pouvait alors procéder au licenciement du salarié mais à ses risques et périls, le Conseil de Prud’hommes n’étant pas forcément d’accord avec les conclusions de l’enquête.
Ainsi, si cette dernière a été faite par l’employeur ou ses préposés ou même un cabinet extérieur payé par l’employeur alors que le salarié se plaignait, comme c’est souvent le cas, de harcèlement institutionnel ou dans le langage imagé de harcèlement démissionnaire, soit les procédés qui consistent de la part de l’employeur à dégrader exprès les conditions de travail du salarié pour le pousser vers la sortie (exemple jurisprudence France télécom) l’enquête effectuée par l’employeur sera dénoncée par le salarié comme étant partiale.
Même si l’employeur n’est plus tenu de procéder à une enquête, l’employeur doit toutefois montrer qu’il a « traité » la dénonciation de harcèlement, même s’il le fait par un simple courrier. Il peut donc alors procéder au licenciement mais là encore à ses risques et périls en cas de contentieux prud’homal. En revanche, s’il licencie le salarié sans avoir « traité » préalablement la dénonciation du harcèlement moral, il s’exposera à la nullité du licenciement pour violation de son obligation de sécurité et ce même si le harcèlement n’est pas établi.
- Le second cas dans lequel le salarié peut obtenir la nullité du licenciement alors que le harcèlement n’est pas démontré, est celui ou l’employeur reproche au salarié parmi les motifs figurant dans la lettre de licenciement d’avoir dénoncé une situation de harcèlement moral. Il ne peut le faire que s’il prouve que la dénonciation de harcèlement moral a été faite de mauvaise foi. Or, même s’il s’avère au final qu’il n’y avait pas de harcèlement moral, le salarié a pu être convaincu au moment de sa dénonciation de l’existence du harcèlement.
Faute par conséquent de la preuve de la mauvaise foi du salarié, le licenciement sera annulé en raison d’un « motif contaminant » sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres motifs invoqués pour justifier le licenciement.
Pourquoi est-il maintenant possible de faire reconnaitre le harcèlement même si on ne l’a pas dénoncé avant le licenciement ?
Cela a toujours été possible, tel que résultant des dispositions de l’article L. 1152-1 du Code du travail qui définit le harcèlement moral :
« aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont eu pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
Il n’y a donc aucune exigence de dénonciation harcèlement moral avant le licenciement, il suffit que le harcèlement existe et que le Conseil de Prud’homme le reconnaisse.
Deux faits distincts suffisent à constituer les « agissements répétés » du harcèlement moral
C’est ce qui résulte de l’arrêt du 11 mars 2025 (23-16.415) concernant une gardienne d’immeuble. Cette dernière, qui n’avait jamais émis la moindre plainte avant son licenciement a réclamé la reconnaissance du harcèlement moral devant le Conseil de Prud’hommes aux motifs :
- qu’elle avait reçu un avertissement injustifié le 8 septembre 2015,
- qu’elle avait été empêchée par son employeur de prendre ses congés au titre de l’année 2016.
La Cour d’Appel de Paris saisie de ce dossier avait reconnu que la salariée avait subi des brimades injustifiées mais avait refusé de caractériser ces dernières de harcèlement moral au motif suivant :
« toutefois ces deux éléments ne relevaient pas du harcèlement moral en ce qu’ils n’avaient pas eu pour effet de dégrader les conditions de travail de la salariée ni d’altérer sa santé physique ».
Or la reconnaissance du harcèlement moral n’est pas conditionnée au fait que le salarié justifie d’une dégradation de ses conditions de travail ou de sa santé. Le salarié doit uniquement, au titre de l’aménagement de la preuve du harcèlement moral, présenter les éléments factuels laissant supposer l’exercice d’un harcèlement ; l’employeur doit ensuite prouver que les agissements invoqués sont justifiés par des éléments étrangers à tout harcèlement.
La Cour de Cassation casse donc l’arrêt de la Cour d’Appel et reconnait le harcèlement au motif que « l’employeur ne prouvait pas que les deux agissements étaient étrangers à tout harcèlement ».
Rien n’interdit donc au salarié qui a été licencié de saisir le Conseil de Prud’hommes pour faire reconnaitre qu’il subissait une situation de harcèlement dont le licenciement était l’aboutissement, sachant que deux faits distincts suffisent à constituer les « agissements répétés », nécessaires selon l’article L. 1152-1 du Code du travail, pour caractériser le harcèlement moral.