Enquête pour harcèlement moral ou sexuel au travail : le doute profite désormais au salarié
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Une pratique au cœur du droit du travail : l’enquête interne pour harcèlement
L’enquête pour harcèlement moral ou harcèlement sexuel constitue une étape déterminante dans de nombreux litiges en droit du travail. Elle peut être déclenchée soit à l’initiative d’un salarié se disant victime de harcèlement, soit à l’encontre d’un salarié mis en cause.
Mais, devant le Conseil de prud’hommes, ce n’est jamais le ou les autres salariés qui sont partie au procès, mais l’employeur, ce même employeur qui a dirigé ou supervisé l’enquête interne. Cette position lui confère un avantage procédural considérable, notamment en matière de production de preuves.
Une procédure d’enquête déséquilibrée en faveur de l’employeur
En effet, s’il y a quelques années la Cour de cassation s’attachait encore au principe du contradictoire dans le cadre de l’enquête pour permettre au salarié de se défendre, tous les verrous ont été progressivement levés au profit de l’employeur, ce dernier étant systématiquement considéré comme l’arbitre impartial tenu, pour respecter ses obligations d’assurer la santé et la sécurité de ses salariés, de solutionner tout conflit portant sur des faits de harcèlement surgissant au sein de l’entreprise.
La jurisprudence a progressivement validé un modèle d’enquête interne entièrement piloté par l’employeur, réduisant le principe du contradictoire et écartant les droits du salarié mis en cause :
- L’enquête est généralement conduite en interne, par la Direction des ressources humaines, sans recours obligatoire à un prestataire externe indépendant ;
- Les représentants du personnel peuvent être exclus du processus ;
- L’employeur choisit librement les personnes entendues, et peut décider d’écarter les témoins favorables au salarié ;
- Le salarié mis en cause peut ne pas être entendu dans le cadre de l’enquête et, a fortiori, être informé de cette dernière, ce pour éviter qu’il ne procède à des mesures de rétorsion à l’égard des plaignants et des témoins ;
- Le rapport d’enquête n’est pas nécessairement communiqué au salarié visé, toujours pour l’empêcher d’identifier les personnes auditionnées ;
- Le nom des personnes entendues est occulté, prétendument pour protéger les témoins ;
- Enfin, devant le Conseil de prud’hommes, l’employeur peut produire des attestations anonymisées, dont lui seul connaît les auteurs.
Ce dispositif empêche le salarié de se défendre utilement : il ne sait ni qui l’accuse, ni précisément de quoi. Cela conduit à une privation de la défense, en contradiction avec les principes du droit.
Revirement de jurisprudence : En cas d’enquête non probante, le doute profite au salarié
Dans un arrêt du 18 juin 2025 (n°23-19.022), la Cour de cassation apporte un changement significatif. Elle décide que lorsqu’une enquête interne ne permet pas d’établir la réalité des faits reprochés, le doute doit profiter au salarié.
L’affaire concernait pourtant un salarié accusé de harcèlement moral et sexuel qui semblait avoir tout contre lui.
Ainsi, une salariée affirmait que le manager lui avait dit : « je vais te biffler » (voir définition sur Google).
Une autre, telle que résultant de la lettre de licenciement, aurait été confrontée à la situation suivante : « Le 24 février 2017, ayant un call avec un client, alors que vous trouviez seul avec elle et attendiez que le client débute le call, vous lui avez proposé de lui montrer une photo de vous. Votre collaboratrice vous a répondu « non » à deux reprises avant de tourner la tête pour ne pas voir la photo que vous tentiez de lui montrer, lorsqu’elle s’est de nouveau retournée vers vous, vous aviez votre portable dans les mains lui montrant une photo de vous sur laquelle vous portiez uniquement votre t-shirt, debout devant le miroir d’une salle de bain, le robinet cachant votre pénis mais laissant apparaitre vos testicules. »
Toutefois, le salarié, qui était en poste depuis 17 ans, produisait de nombreux témoignages favorables, louant son respect et son attitude professionnelle, notamment envers les femmes. Or, ces éléments n’étaient pas repris dans le rapport d’enquête, les auditions favorables ayant été écartées.
Dans ce contexte, et alors que le salarié était proche de la retraite (62 ans) au moment où l’entreprise préparait une fusion, la Cour a estimé qu’il existait un doute sur les accusations à charge – aussi graveleuses soient elles.
Vers une exigence accrue de loyauté et d’objectivité dans l’enquête interne
Cette décision rappelle que l’employeur reste tenu de prouver les faits fautifs qu’il reproche à un salarié, même lorsqu’ils concernent un harcèlement. Il ne peut se contenter d’éléments anonymes, vagues ou subjectifs, tels que des verbatim non vérifiables (« comportement pervers », « sadique », etc.) qui ne reposent sur aucun fait matériellement établi.
Désormais, si une enquête est jugée non probante elle ne pourra justifier ni un licenciement pour faute grave, ni une sanction disciplinaire. Le principe du doute redevient central : en cas de doute, il profite au salarié.
Conclusion : un rééquilibrage bienvenu des droits dans les enquêtes pour harcèlement au travail
Cet arrêt marque une inflexion majeure du droit du travail en matière de gestion des enquêtes internes et de preuve du harcèlement moral ou sexuel. Il oblige désormais les employeurs à plus de rigueur, d’objectivité et de transparence dans la conduite de leurs enquêtes.
Les salariés mis en cause retrouvent ainsi un minimum de garanties procédurales, notamment le droit de se défendre face à des accusations graves, parfois instrumentalisées dans un contexte de restructuration ou de départ programmé.