Souffrance au travail : un manager peut-il être licencié pour faute grave même en l’absence de harcèlement moral ?

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Souffrance au travail : un manager peut-il être licencié pour faute grave même en l’absence de harcèlement moral ?

Les statistiques alarmantes de la détérioration de la santé mentale dans l’entreprise conduisent la Cour de Cassation à redoubler de sévérité envers les managers, coupables tout désignés. Désormais, elle légitime le licenciement pour faute grave du manager qui, sans avoir commis de faits de harcèlement moral, aurait eu un comportement susceptible de provoquer de la souffrance au travail.

Le management toxique, un motif autonome de licenciement.

Par un arrêt du 26 février 2025 (n° 22-23.703) la Cour de Cassation se prononce sur le licenciement pour faute grave d’un responsable d’agence à qui il était reproché un management défectueux mais qui n’avait fait l’objet d’aucune plainte, et donc d’aucune dénonciation de harcèlement, sachant qu’aucune de ses collaboratrices n’était tombée malade ni n’avait alerté le médecin du travail ou l’inspection du travail.

C’est pour ces raisons que la Cour d’appel saisie de ce dossier avait requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse, le manager récupérant donc son indemnité de préavis et son indemnité conventionnelle de licenciement. A tort, selon la Cour de Cassation. Le manager avait adopté « un mode de management maladroit et emprunt d’une attitude colérique, ce qui était de nature à constituer un manquement à son obligation en matière de sécurité et de santé à l’égard de ses subordonnées et à rendre impossible la poursuite du contrat de travail ». La faute grave est donc confirmée.

Il s’agit d’une sanction particulièrement sévère puisque le manager qui n’a pas été averti ou mis en garde auparavant n’a pas eu la possibilité de modifier son attitude.

Peut-il y avoir licenciement pour faute grave d’un manager même s’il n’a pas eu de comportement toxique ?

Oui, tel que l’établit la Cour de Cassation par un autre arrêt du 26 mars 2025 (n° 23-17.544). Il s’agit cette fois-ci d’un manager qui entretient une liaison avec une collaboratrice de l’entreprise, qui n’est pas sous son autorité. Cette dernière rompt. L’amoureux éconduit tente d’obtenir des explications et se fait insistant face au mutisme de son amie, laquelle se plaint auprès de sa hiérarchie et du médecin du travail. Le manager est licencié pour faute grave après une mise à pied conservatoire. Devant la juridiction prud’homale il fait valoir que la relation amoureuse entretenue relevait de sa vie privée et ne pouvait donc pas constituer une faute professionnelle justifiant un licenciement disciplinaire.

Il arguait que « le fait pour un salarié de tenter d’obtenir une explication à un dépit amoureux ou de tenter de renouer le dialogue à la suite de la rupture d’une relation amoureuse nouée avec une salariée de l’entreprise ne constitue pas un manquement aux obligations nées du contrat de travail ».

En réponse, la Cour de Cassation confirmait que « un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut en principe justifier un licenciement disciplinaire à moins qu’il constitue un manquement du salarié à une obligation découlant de son contrat de travail ». Toutefois, elle retenait que « s’il n’était pas fait référence dans la lettre de licenciement à des faits de harcèlement à proprement parler ..., l’instauration par le salarié d’une pression à l’égard de sa collègue qui, sans être sa subordonnée, n’en était pas moins à un niveau hiérarchique moindre dans l’entreprise, avait provoqué une souffrance chez cette dernière tel qu’il résultait du témoignage de sa manager et du courrier du médecin du travail »

Dans ces conditions, elle confirmait le licenciement pour faute grave au motif que le comportement « du salarié dans une position hiérarchique élevée, dans le but d’obtenir une explication en raison d’un possible dépit amoureux ou aux fins d’entretenir une relation malgré le refus clairement opposé par une collaboratrice, peu important qu’elle ne soit pas sous sa subordination directe, constitue un manquement à ses obligations découlant du contrat de travail, incompatible avec ses responsabilités et qu’une telle attitude de nature à porter atteinte à la santé psychique d’une autre salariée, rendait impossible son maintien au sein de l’entreprise ».

Ainsi, du seul fait de sa position de manager, le salarié qui entretient une liaison avec une collaboratrice de l’entreprise d’un niveau inférieur même si elle n’est pas sous sa responsabilité le fait à ses risques et périls. En cas de rupture conflictuelle, il s’expose au licenciement pour faute grave.


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