Le télétravail peut-il être conditionné à la visite du domicile du salarié ?

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Le télétravail peut-il être conditionné à la visite du domicile du salarié ?

Le cadre juridique du télétravail : un choix ou un droit ?

Le télétravail résulte le plus souvent d’un accord entre l’employeur et le salarié. Il peut être prévu dès le contrat de travail, ou dans un avenant, qui détermine notamment le nombre de jours télétravaillés chaque semaine.

Mais le télétravail peut également constituer un droit pour le salarié :

  • lorsqu’une charte ou un accord collectif prévoit un minimum de jours télétravaillables ;
  • lorsque le médecin du travail le préconise au titre de l’aménagement du poste de travail. Dans ce cas, l’employeur doit s’y conformer, au titre de son obligation de sécurité.

Dans cette hypothèse, l’employeur pourrait être tenté de vérifier les conditions matérielles du télétravail chez le salarié : qualité du réseau internet, espace dédié au travail, conformité du mobilier, respect des règles d’hygiène, voire « standing » de la pièce pour les visioconférences avec des clients.

Cette volonté de contrôle, a priori légitime, se heurte toutefois à un principe fondamental : l’inviolabilité du domicile, corollaire du droit au respect de la vie privée garanti par l’article 9 du Code civil et l’article 8 de la CEDH. 

L’arrêt du 13 novembre 2025 : un rappel ferme de la Cour de cassation

C’est précisément ce qu’a rappelé la Cour de cassation (arrêt n°24-14.322 du 13 novembre 2025) dans une affaire opposant une salariée à son employeur. La salariée bénéficiait d’une préconisation médicale l’autorisant à télétravailler deux jours par semaine. Or, l’employeur exigeait de visiter son domicile, en s'appuyant sur un formulaire signé en amont par tous les candidats au télétravail.

La salariée avait pourtant produit une attestation du bureau Veritas certifiant la conformité de son installation, mais la cour d’appel de Nîmes l’avait déboutée, estimant que l’engagement signé suffisait à justifier la visite.

La Cour de cassation a censuré cette décision :

L’employeur ne peut en aucun cas pénétrer au domicile du salarié sans son accord, même si celui-ci a signé un document l’y autorisant lors de sa demande de télétravail. Et le refus du salarié ne peut justifier ni un refus de télétravail, ni une sanction.

Comment contrôler les conditions de travail sans violer la vie privée ?

La Cour rappelle que l’obligation de sécurité de l’employeur peut être respectée par d’autres moyens, sans visite du domicile :

  • attestation d’un organisme habilité quant à la conformité du poste de travail ;
  • questionnaire technique sur les installations (connexion, mobilier, éclairage…) ;
  • attestation sur l’honneur du salarié ;
  • et, le plus souvent, les visioconférences régulières permettent déjà de visualiser l’environnement de travail.

En cas de manœuvre frauduleuse ou de mensonge, le salarié engage sa responsabilité disciplinaire, voire délictuelle. Ainsi, le contrôle existe, mais il ne doit pas se transformer en intrusion.

Conclusion – L’envers du décor : le télétravail n’est pas un droit d’entrée dans la vie privée

Le télétravail n’est pas une fenêtre ouverte sur la vie du salarié. Le domicile n’est pas un bureau temporaire appartenant à l’entreprise : c’est le lieu le plus intime de la personnalité.

S’il est devenu une modalité ordinaire d’exécution du contrat de travail, il ne transforme pas le salarié en cohabitant juridique de son employeur. En réalité, ce n’est pas parce que le salarié travaille depuis chez lui que l’entreprise y a sa place.

L’employeur doit donc comprendre qu’il existe une frontière invisible mais inviolable : celle entre l’exécution du contrat de travail… et l’existence privée, dont le domicile est le tout premier sanctuaire.

Le télétravail ne doit jamais devenir un prétexte à sonder les modes de vie, les goûts, le niveau social ou l’intimité du salarié. Car si l’écran de visioconférence révèle parfois l’arrière-plan… il ne doit jamais autoriser l’arrière-pensée.


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