CDI senior : solution ou illusion ?
Publié leLa question de l'emploi des seniors est l'un des paradoxes les plus criants du marché du travail français.
Alors que l’âge légal de départ à la retraite devait progressivement être relevé à 64 ans — réforme actuellement suspendue jusqu'aux élections de 2027 — seuls 38,9 % des Français âgés de 60 à 64 ans sont en emploi (2024).
La moyenne européenne dépasse 50 % et certains pays nordiques atteignent 70 %. La France fait donc partie des nations où il est le plus difficile de travailler après 55 ans.
Le gouvernement a présenté le CDI senior, rebaptisé « contrat de valorisation de l’expérience », comme une réponse à cette situation dramatique.
Mais derrière l’apparente solution, ne se cache-t-il pas un dispositif déséquilibré, favorable aux entreprises et porteur d’effets pervers majeurs ?
Une discrimination envers les seniors structurelle et systémique
Une économie française contrôlée par des logiques financières court-termistes
Une part importante du tissu économique français — grands groupes cotés, multinationales, entreprises détenues par des fonds d’investissement internationaux — est pilotée par une logique prioritairement financière.
Objectif :
- améliorer rapidement la rentabilité,
- réduire la masse salariale,
- optimiser les résultats trimestriels,
- éviter toute rigidité dans la gestion des effectifs.
Dans cette vision, les seniors sont vus comme :
- plus coûteux,
- moins « adaptables »,
- plus difficiles à reclasser,
- potentiellement « bloquants » jusqu’à 70 ans puisqu’ils ne peuvent être mis à la retraite d’office avant cet âge.
À l’inverse, les grosses PME familiales allemandes ou italiennes, moins financiarisées, valorisent la fidélité, la compétence cumulative et l’expérience.
Le mépris social et l’auto-dévaluation
À partir de 50 ans, de nombreux salariés vivent dans la crainte permanente d’être remerciés :
- absence de formation,
- moindre mobilité interne,
- sentiment de déclassement,
- perte de confiance.
Résultat : l’éviction des seniors n’est plus une exception. Elle est devenue un élément structurel du fonctionnement des grandes entreprises françaises.
Un droit du travail paradoxalement défavorable aux seniors
La loi française prétend protéger les travailleurs âgés. En réalité, elle incite les entreprises à se séparer très tôt de leurs salariés de plus de 55 ans.
L’impossibilité de mise à la retraite avant 70 ans
Un employeur ne peut mettre d’office un salarié à la retraite qu’à partir de 70 ans, même si celui-ci :
- a atteint l'âge légal,
- bénéficie du taux plein,
- a exprimé son souhait de partir.
Avant 70 ans, seule une mise à la retraite avec accord explicite du salarié est possible, et seulement si celui-ci a atteint 67, puis 68, puis 69 ans — un processus complexe, peu utilisé.
Conséquence directe : les entreprises licencient avant 60 ans pour éviter d’être “bloquées” ensuite.
Une pénalisation financière : la contribution de 50 %
Lorsque l’entreprise parvient à mettre un salarié à la retraite, elle doit payer une contribution patronale spécifique de 50 % de l’indemnité de mise à la retraite.
Un système dissuasif, qui pousse les entreprises à :
- anticiper les départs par des ruptures conventionnelles,
- externaliser les fonctions,
- écarter les salariés dès 55 ans.
Le législateur crée ainsi lui-même la discrimination qu’il dénonce.
L’éviction des seniors : un drame massif, silencieux et impuni
Une pratique généralisée : faire partir les salariés avant 60 ans
Les grandes entreprises ne veulent pas risquer de conserver des salariés jusqu’à 70 ans.
Elles préfèrent donc les faire partir bien avant 60 ans, souvent dès 55 ans, pour éviter :
- le risque d’accusation de discrimination ultérieure,
- la rigidité du maintien en poste.
Cette stratégie est parfaitement connue, totalement impunie, et aujourd’hui abondamment documentée dans les médias.
Des conséquences dramatiques, surtout pour les femmes
Les femmes sont particulièrement ciblées :
- carrières plus fragmentées,
- salaires inférieurs,
- plus faible durée de cotisation,
- préjugés persistants.
Elles sont donc surreprésentées parmi les seniors licenciés.
Le piège du chômage avant la retraite
Avec la réduction de la durée d’indemnisation chômage à 27 mois, les seniors licenciés :
- ne peuvent pas atteindre tranquillement l’âge de la retraite,
- doivent vivre plusieurs années sur leurs économies,
- ou prendre leur retraite avec décote, à vie.
Le CDI senior : un dispositif pensé pour les employeurs
Mis en place depuis le 26 octobre 2025, le CDI senior, ou contrat de valorisation de l’expérience, vise officiellement à favoriser le retour en emploi des travailleurs âgés.
Un contrat réservé à un public restreint
Il s’adresse uniquement aux personnes :
- de 60 ans ou plus (ou 57 ans si un accord de branche le prévoit),
- non éligibles à une retraite à taux plein,
- inscrites à France Travail,
- et ne pouvant être réembauchées par leur ancien employeur avant 6 mois.
Ce dispositif ne concerne donc pas :
- les salariés en poste,
- les seniors de 55 à 59 ans.
Le public réellement visé est limité.
Une particularité majeure : la mise à la retraite anticipée
L’employeur peut mettre d’office à la retraite le salarié dès qu’il remplit les conditions du taux plein, sans attendre 70 ans (ce qui ne l’empêche pas de licencier le salarié à tout moment auparavant).
C’est le cœur du dispositif : le CDI senior est en réalité un CDI à durée limitée par le taux plein.
Un coût très faible pour l’employeur
Lors de la mise à la retraite :
- l’indemnité est dérisoire, soit ¼ de mois par année de salaire pour l’indemnité légale de mise à la retraite avec une ancienneté forcément très faible,
- l’employeur serait (sous réserve de confirmation réglementaire) exonéré de la contribution de 50 % sur l’indemnité de mise à la retraite.
Le risque : un CDI qui fonctionne comme un CDD déguisé
Les entreprises ne s’en cachent pas :
- 77 % des DRH déclarent être favorables au CDI senior,
- la CGT dénonce un « CDD senior »,
- les entreprises choisiront mécaniquement des seniors proches du taux plein,
- ceux qui doivent attendre 67 ans — faute de trimestres — seront les grands perdants.
Une image des seniors encore plus dégradée
Le risque est majeur. Les seniors deviendront des salariés « au rabais », recrutés pour quelques années, placés sur des postes déclassés, avant d’être mis à la retraite à coût indolore.
Alors que 30 % des salariés français ont plus de 50 ans, et que cette proportion ne fera que progresser dans l’avenir, le CDI senior pourrait renforcer le stigmate, au lieu de le combattre.
L’exemple finlandais : une méthode qui a fonctionné
La Finlande, confrontée comme la France à une sortie trop précoce du marché du travail, a adopté une politique simple et efficace consistant, plutôt que de dispenser des formations spécifiques à des salariés de plus de 50 ans, à les former en amont, tout au long de la vie professionnelle. le résultat a été spectaculaire avec un taux d’emploi des 55-64 ans qui est passé de 35 % dans les années 1990 à 70 % aujourd’hui.
Il ne s’agit plus de bricoler les fins de carrière : il faut donner aux seniors les moyens de rester performants, adaptés, désirables.
Conclusion
Le CDI senior donne l’illusion d’un progrès, mais il ne traite ni la discrimination structurelle, ni la dévalorisation des compétences, ni le problème crucial de la formation continue.
Il offre surtout aux employeurs un instrument flexible et peu coûteux pour combler temporairement leurs besoins… avant une mise à la retraite anticipée au moindre coût.
La seule véritable solution passe par une politique de formation continue tout au long de la vie professionnelle.
La démographie crée une opportunité historique : la pénurie de main-d’œuvre forcera les entreprises à reconsidérer les seniors comme un capital précieux, et non comme un fardeau.