Accident du travail : le salarié en télétravail beaucoup moins protégé. Pourquoi ?

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Accident du travail : le salarié en télétravail beaucoup moins protégé. Pourquoi ?

Selon deux arrêts de Cours d’appel récents, les juges se montrent très restrictifs à reconnaître l’accident du travail survenu en télétravail, ce qui crée une grande inégalité avec les salariés qui travaillent dans les locaux de l’entreprise. Or, cette situation pourrait perdurer faute de l’intervention de la Cour de Cassation.

Un salarié en télétravail sorti dans la rue pour tenter de rétablir son accès internet n’est plus sur le lieu de travail.

Selon la première des deux décisions, rendue par la Cour d’appel de Saint-Denis (4 mai 2023, n° 22/00884), un salarié qui s’est connecté en télétravail à 8.30 heures entend un bruit de choc à l’extérieur et sa connexion Internet s’interrompt. Il sort dans la rue pour tenter d’identifier la raison de la panne. Le poteau téléphonique qui venait d’être percuté par un camion lui tombe sur la tête entraînant un traumatisme crânien et une fracture dorsale. Selon la Cour d’appel de Saint-Denis il n’y a pas d’accident du travail car :

  • le salarié accidenté dans la rue avait quitté son lieu de travail ;
  • par ailleurs « il ne se trouvait pas sous l’aire d’autorité de son employeur dès lors qu’il ne relevait pas de sa mission inhérente au contrat de travail d’identifier l’origine de la panne informatique ».

La salariée qui tombe dans les escaliers conduisant à la pièce où elle télétravaille n’est pas non plus sur son lieu de travail.

Selon la seconde décision rendue par la Cour d’appel d’Amiens le 15 juin 2023 (22/00474) une agente de la CPAM en télétravail qui s’était déconnectée à 16.01 heures et qui était victime à 16.02 heures d’une chute entraînant une fracture ouverte dans l’escalier desservant la pièce où elle travaillait ne se trouvait plus sur son lieu de travail, l’accident du travail lui étant par conséquent refusé.

Pourtant, le télétravailleur est censé bénéficier de la même présomption d’accident du travail que le travailleur.

Il résulte en effet des dispositions de l’article 1222-9 du code du travail que « L’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle est présumé être un accident du travail ». Tout dépend donc de savoir ce qu’est le lieu de travail du télétravailleur. S’agit-il de son logement ? De la pièce dans laquelle il exerce le télétravail ? Ou du seul emplacement où se trouve son bureau ? Dans un tel cas, il faudrait considérer, selon la position de la Cour d’appel de Saint-Denis (première décision) que quand il prend un café dans sa cuisine ou même quand il se rend aux toilettes, le salarié n’est plus sur son lieu de travail et n’exécute pas une mission sous l’autorité de son employeur.

Pour la Cour d’appel d’Amiens (deuxième décision), l’escalier conduisant à la pièce où travaillait la salariée était exclusif du lieu de travail, sachant que contrairement au travailleur, le télétravailleur ne peut revendiquer l’accident de trajet !

Reconnaissance de l’accident du travail : le télétravailleur a des droits très réduits par rapport au travailleur.

Rappelons en effet que le salarié qui travaille dans les locaux de l’entreprise qui l’emploie pourra, en vertu de la présomption d’accident du travail de l’article L.1222-9 du code du travail, faire reconnaître le caractère professionnel d’un accident dont il est victime dès lors qu’il se trouve dans les locaux de l’entreprise, pris au sens large : buvette ou machine à café, cantine, dépendances, vestiaires, parking, et ce même avant et après sa prise de poste effective et pendant ses pauses, notamment la pause déjeuner. Le travailleur est également protégé lors de ses déplacements en vue de rejoindre ou de quitter les locaux de l’entreprise, via l’accident de trajet.

L’accident du travail du télétravailleur : une inégalité de traitement encore plus choquante avec le salarié en mission.

Le salarié qui se déplace dans le cadre d’une mission est protégé pendant toute la durée de cette dernière, non seulement quand il travaille, mais également à l’occasion des actes de la vie privée lors desquels il est censé rester sous l’autorité de l’employeur. Ainsi, dans un article intitulé « Mort après un rapport sexuel : un accident du travail « courant » » (CA Paris du 17 mai 2019 n° 16/08787) Cadre Averti constatait que le décès d’un salarié en mission au cours d’un rapport sexuel forcément extra-conjugal dans un lieu autre que sa chambre d’hôtel avait été reconnu comme un accident du travail (JP). Quelle différence avec le télétravailleur qui s’enquière dans la rue des raisons de la panne de ses accès internet ?

Peut-on espérer un revirement de ces jurisprudences si néfastes pour les salariés en télétravail ?

Il faudrait pour cela que la Cour de cassation, juridiction de 3ème degré, accepte d’exercer un contrôle de façon à fixer des règles claires concernant notamment la définition du lieu de travail du télétravailleur et les uniformiser. Malheureusement, la Cour de Cassation a renoncé en 2001 à exercer un contrôle sur la qualification d’accident du travail par les juges du fond, laissant ces derniers apprécier souverainement, au vu des éléments factuels « si un accident est survenu par le fait ou à l’occasion du travail ».

A l’heure actuelle la Cour de Cassation entend réduire de façon importante le nombre de pourvois en matière civile et prud’homale qui lui sont soumis de façon à pouvoir se consacrer à son rôle doctrinal.

A cette fin, au lieu de juger tous les pourvois qui lui sont soumis, elle se réserve de choisir les dossiers dans lesquels elle entend se prononcer, les autres étant écartés sans examen, et donc sans motivation, au motif de leur peu d’intérêt.

Dans un tel contexte il est à craindre que la jurisprudence concernant la reconnaissance de l’accident du travail pour le télétravailleur ne soit fixée que par les Juges du fond, soit les Cours d’appel, comme celles de Saint-Denis et d’Amiens, dans un sens particulièrement restrictif.

Au final, le télétravail source de grandes économies pour l’employeur.

Les accidents du travail coûtent très cher à l’employeur, tant en majoration du montant des cotisations sociales qu’en cas de procédure devant le Tribunal judiciaire aboutissant à la reconnaissance de la faute inexcusable, avec doublement du montant de la rente versée au salarié en cas d’incapacité, à la charge de l’employeur, et indemnisation, également par l’employeur, du préjudice résultant de l’accident. L’augmentation du nombre de télétravailleurs devrait entraîner une baisse importante des accidents du travail du fait de la grande difficulté pour le télétravailleur à faire reconnaître le caractère professionnel de l’accident qu’il subit à son domicile. Comment le salarié victime, par exemple, d’un malaise cardiaque, prouvera-t-il qu’il s’est produit alors qu’il était assis à son bureau, et non pas dans l’escalier ou encore dans la cuisine ?

Cette restriction de la protection des télétravailleurs est d’autant plus choquante que ces derniers sont obligés d’amputer leur espace de vie pour loger leur activité professionnelle avec réciproquement des économies de loyer de locaux commerciaux pour l’employeur.


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