Le comportement tactile au travail : attention au licenciement

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Le comportement tactile au travail : attention au licenciement

Dans beaucoup d’entreprises la convivialité s’exprime encore par le geste : bise du matin, accolade de félicitations, main sur le bras ou sur l’épaule pour encourager un collègue, soit des gestes anodins dans le but d’exprimer la sympathie. Toutefois, même si ces gestes sont dépourvus d’intentions malveillantes ils peuvent désormais valoir à leur auteur des poursuites. Dans un contexte où la tolérance face au comportement intrusif diminue et/ou la notion de consentement s’affirme, le contact physique au travail peut vite devenir une faute disciplinaire.

Un changement culturel et juridique profond.

Le monde de l’entreprise a évolué. Les rapports hiérarchiques se sont assouplis, passant de la verticalité à l’horizontalité. Les relations professionnelle se veulent plus humaines mais au détriment de la spontanéité puisque ce qui compte désormais ce n’est pas ce qu’il y a dans la tête du salarié qui provoque un contact physique avec un/une collègue mais le « ressenti » du/de la collègue qui peut considérer ces contacts physiques comme intrusifs, source de malaise et/ou d’atteinte psychologique.

La frontière est ténue entre la cordialité et le harcèlement.

Dans les faits, tout dépend du contexte et du ressenti. Une main posée sur l’épaule pour féliciter, un geste de soutien après une réunion difficile, un contact fortuit dans un couloir ; ces attitudes n’ont rien d’interdit en soi mais la frontière devient fragile lorsque : le geste est répété ou non sollicité, il intervient dans un rapport hiérarchique, il s’accompagne de propos équivoques ou lorsqu’il génère un malaise même discret chez le destinataire. Le juge apprécie au cas par cas ; ce n’est pas l’intention qui compte mais la perception de celui ou celle qui subit le geste.

Ainsi, le/la salarié(e) qui a subi de tels gestes pourra, si ces derniers sont exempts de toute connotation sexuelle, soutenir qu’ils s’intégraient dans un contexte de harcèlement moral soit, selon l’article L.1152-1 du code du travail « des agissements répétés entrainant une dégradation des conditions de travail ».

Mais souvent de tels gestes sont interprétés comme relevant du harcèlement sexuel réprimé par l’article L.1153-1 du code du travail : « propos, gestes ou comportement à connotation sexuelle non consentis ou subis de manière répétée ou encore, même isolés s’ils sont particulièrement graves ». Ainsi, un simple geste tactile dans un contexte mal perçu peut suffire à engager la responsabilité du salarié. Cette sévérité est illustrée par deux décisions judiciaires récentes.

Remettre en place une bretelle de soutien-gorge justifie un licenciement pour faute grave.

La Cour d’appel de Reims statuait le 18 juin 2025 (n°24/01197) sur le cas d’un employé d’un magasin qui, passant derrière une caissière, remettait en place sa bretelle de soutien-gorge qui avait glissé. Il soutenait qu’il avait « seulement remis en place la bretelle de soutien-gorge sur le ton de la plaisanterie, que son geste n’avait aucune vocation sexuelle, qu’il n’a pas fait ce geste pour obtenir un acte de nature sexuelle, qu’il s’agissait d’un fait unique et non de faits répétés ». Toutefois la Cour « retient que le geste commis par Monsieur S. constitue bien une faute grave dans la mesure où il a porté sur le corps d’une collègue, qu’aucun élément ne conduit à retenir que cette collègue était consentante, qu’il résulte de la description des faits que Monsieur S. était derrière sa collègue et qu’il ne peut pas être sérieusement soutenu que la manipulation du soutien-gorge d’une collègue n’a pas une connotation sexuelle ».

Main sur l’épaule ou dans le dos + bise – harcèlement sexuel :

C’est, cette fois-ci, la Cour d’appel de Paris qui le 5 juin 2025 (n° 22/05089) se prononçait sur le cas d’un salarié qui, le même jour, aurait embrassé une collègue sur la joue tout en posant sa main sur son épaule droite et qui après aurait caressé le dos d’une autre en lui faisant une bise dans le cou. La Cour d’appel confirme que « l’acte de prendre par la taille ou par l’épaule une collègue sans son accord, celui de donner des caresses sur le dos et celui de poser une bise subrepticement sur la joue ou sur le cou sans son consentement constituent un comportement déplacé, indécent attentant à la pudeur. De tels actes sont manifestement à connotation sexuelle ». le licenciement pour faute grave était confirmé. 

La prudence commande désormais de s’abstenir de tout geste physique dans l’entreprise.

Même s’il existe une habitude au sein de l’entreprise ou de l’équipe dans le cadre d’un climat de franche camaraderie, de plaisanter et de se prodiguer des gestes physiques de sympathie, la situation peut changer. Ainsi, pour reprendre l’exemple du salarié ci-dessus, la question se pose de savoir si le comportement du salarié en embrassant par surprise des collègues n’était pas habituel. A-t-il brusquement été décidé de le sanctionner pour cela au motif que les collaboratrices n’étaient pas consentantes, et ce alors que le salarié soutenait qu’il avait dénoncé des dysfonctionnements existants au sein de l’EPAHD dans laquelle il travaillait ? Le climat bon-enfant permettant des gestes amicaux peut, malheureusement, se retourner rapidement ; il suffit d’invoquer le fait que les collègues ont subi les gestes sans leur consentement. Or, la matérialité des gestes est facile à prouver quand les marques de sympathie ont été faites en présence de témoins. Il faut donc être prudent.

Sauf à demander préalablement, à chaque fois, l’accord de la personne à laquelle on réserve un geste amical, le mieux est de prendre l’habitude de ne plus avoir de contacts physiques avec ses collègues. 

Les team-buildings un terrain propice aux dérapages involontaires.

Ces évènements sont conçus pour renforcer la confiance et la coopération mais :

  • Les team-buildings se déroulent souvent hors du cadre strict du travail (soirée, activité sportive, jeu de rôle) ;
  • L’ambiance est plus détendue, les barrière hiérarchiques s’estompent, les interactions physiques (jeux de contact, accolades) sont parfois encouragées.

Or, les faits commis dans le cadre d’un évènement professionnel, même en dehors du temps et du lieu de travail, relèvent de la sphère professionnelle dès lors qu’ils ont un lien avec l’activité de l’entreprise. Cela signifie qu’un comportement déplacé (bise insistante, accolade, contact physique non désiré, geste déplacé pendant un jeu) peut être qualifié de harcèlement sexuel ou de faute disciplinaire, même en séminaire ou en afterwork. Or, la prudence est de mise et s’il doit y avoir contact physique, il est prudent de demander préalablement l’accord du/de la collègue que l’on s’apprête à toucher.

Des contacts humains sans contact physique. Dans l’entreprise l’intention ne suffit plus à justifier le geste, ce qui compte c’est la perception de celui ou de celle qui le reçoit. Un comportement perçu comme intrusif peut désormais engager la responsabilité disciplinaire de son auteur.


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