Relation amoureuse au travail : quels sont les risques et pour qui ?
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L’affaire Nestlé a marqué les esprits : le directeur général a été évincé après la révélation d’une “histoire d’amour” avec une collaboratrice, et le PDG a, dans la foulée, anticipé son départ en retraite. Cette affaire, très médiatisée, pourrait laisser penser que les histoires d’amour sont interdites au bureau.
Heureusement, c’est faux. En France, la vie sentimentale relève de la sphère privée et les relations amoureuses entre salariés ne sont pas interdites. Mais les conséquences juridiques diffèrent selon qu’il s’agit d’une relation entre collègues sans lien hiérarchique ou d’une relation entre un manager et son/sa collaborateur(trice).
Selon une enquête Insee, près de 30 % des salariés ont déjà eu une relation sentimentale ou sexuelle dans un cadre professionnel. Ce phénomène est donc courant… mais pas sans risques.
Les relations amoureuses entre collègues sans lien hiérarchique
La distinction entre vie personnelle et vie privée
La Cour de cassation a précisé, dans deux arrêts du 25 septembre 2024, qu’il faut distinguer :
- Vie personnelle : elle couvre les comportements publics du salarié en dehors du temps et du lieu de travail. Exemples : activités associatives, militantes ou politiques, emploi parallèle, comportements sur les réseaux sociaux, infractions routières ou pénales commises en dehors du travail.
- Vie privée : elle concerne la sphère intime, strictement protégée par l’article 9 du Code civil. Exemples : état civil, domicile, santé, correspondance privée, opinions politiques ou religieuses, relations affectives et amoureuses.
Différence majeure :
- Si le licenciement est fondé sur un fait relevant de la vie personnelle, il est sans cause réelle et sérieuse, mais le salarié n’obtient que des dommages-intérêts encadrés par le barème Macron (art. L.1235-3 C. trav.).
- Si le licenciement porte atteinte à la vie privée, il est nul : le salarié peut obtenir sa réintégration et une indemnisation sans plafond.
L’affaire du conducteur RATP (vie personnelle)
Dans le premier arrêt du 25 septembre 2024 (n°22-20.672), un conducteur de la RATP avait été soumis à un contrôle routier en dehors de son temps de travail et un test salivaire avait révélé la consommation de cannabis. Avertie, la RATP licenciait le salarié pour faute grave, considérant que son comportement était incompatible avec ses fonctions.
La Cour de cassation a jugé que :
- Les faits relevaient de la vie personnelle, puisqu’ils s’étaient déroulés hors temps de travail, dans l’espace public, sans lien direct avec l’activité.
- Mais il n’y avait pas violation de la vie privée, car le contrôle routier ne concernait pas la sphère intime.
- Le licenciement était donc sans cause réelle et sérieuse.
Conséquence : le salarié a obtenu des dommages-intérêts plafonnés par le barème Macron, mais pas la nullité du licenciement.
L’affaire des blagues sexuelles sur la messagerie professionnelle (vie privée)
Dans le second arrêt du même jour (n°23-11.860), un cadre de haut niveau avait été licencié pour faute grave pour avoir échangé, à partir de sa messagerie professionnelle, des blagues sexuelles avec deux collègues.
L’employeur soutenait que même si les mails étaient d’ordre privé le contenu était sexiste et attentatoire à la dignité de la femme.
La Cour de cassation confirmait la position de la Cour d’appel, selon laquelle interdire toutes blagues sexuelles serait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression. Elle confirmait l’annulation du licenciement au motif de la violation de la correspondance privée et donc de la vie privée du salarié.
La limite : le trouble objectif caractérisé
Cette protection n’est pas absolue. L’employeur peut sanctionner si la relation cause un trouble objectif caractérisé dans l’entreprise.
Exemples : tensions ou altercations répétées, refus de collaborer après une rupture, atteinte à l’image de l’entreprise lors d’un événement professionnel.
En l’absence d’un tel trouble, les salariés peuvent conserver leur histoire secrète et bénéficient d’une protection renforcée.
Les relations amoureuses entre manager et collaborateur(trice)
Des risques accrus
Lorsqu’un lien hiérarchique existe, la relation soulève des risques de favoritisme, d’injustice perçue par les autres salariés et de contestation des décisions managériales.
Le manager, seul responsable
Selon la jurisprudence c’est le manager qui engage sa responsabilité, pas le collaborateur.
Tel ce DRH qui entretenait une relation avec une syndicaliste avec laquelle il était amené à « dialoguer » dans le cadre de ses fonctions. Même si l’histoire d’amour relevait de sa vie privée, elle rendait suspecte son impartialité dans le dialogue social.
Le licenciement pour faute grave était confirmé (Cour de Cassation 29 mai 2024, n°22-16.218).
A l’opposé, une collaboratrice avait une liaison avec le PDG de l’entreprise. Elle a été licenciée par la Directrice générale (épouse du PDG) en raison d’un SMS imprudent envoyé par celui-ci.
La Cour de cassation a jugé que ce licenciement constituait une atteinte à la vie privée de la salariée (arrêt du 4 juin 2025, n°24-14.509).
Résultat : le licenciement a été déclaré nul.
La pratique de la déclaration obligatoire
Dans certaines entreprises, les managers sont tenus de déclarer toute relation avec un subordonné. L’employeur peut alors réorganiser les services pour éviter un lien hiérarchique direct.
C’est ce qui s’est passé dans l’affaire Nestlé : la relation n’était pas interdite en soi, mais le Directeur général a été sanctionné pour n’avoir pas déclaré sa relation avec une collaboratrice directe alors que le règlement intérieur de la société lui en faisait obligation.
Conclusion
Les relations amoureuses au travail ne sont pas interdites, mais leur traitement diffère selon les cas :
- Entre collègues sans lien hiérarchique : les salariés bénéficient d’une protection renforcée. La relation relève de la vie privée et l’employeur ne peut intervenir qu’en cas de trouble objectif caractérisé.
- Entre un manager et un collaborateur : le risque repose sur le manager, qui peut être sanctionné. Le collaborateur reste protégé au titre de sa vie privée.