Harcèlement : attention à la formulation de la lettre de dénonciation si l'on veut bénéficier des protections

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Harcèlement : attention à la formulation de la lettre de dénonciation si l'on veut bénéficier des protections

Depuis l’introduction en 2002 du harcèlement moral dans le Code du travail, on observe une forte augmentation du contentieux prud’homal sur ce thème. Les femmes notamment, ont été poussées à sortir de l’ombre avec le mouvement #MeToo. D'après une étude de l’Institut français d’opinion publique (Ifop) réalisée en 2014 “20 % des femmes actives disent avoir été confrontées à une situation de harcèlement sexuel au cours de leur vie professionnelle”. Dans un monde où le harcèlement au travail est de plus en plus fréquent, le salarié qui s’en estime victime doit savoir comment il doit le dénoncer, et comment il sera alors protégé. 

Pourquoi tant de harcèlement moral ? Les managers seraient-ils devenus statistiquement plus toxiques ? 

Certes les managers, eux-mêmes confrontés à une pression forte en matière de performances et de résultats, peuvent avoir comme réflexe de soumettre leurs collaborateurs à des conditions de travail harcelantes. Mais c’est oublier que se sont développées ces dernières années des techniques managériales visant à dégrader exprès les conditions de travail des salariés pour les inciter à quitter d’eux-mêmes l’entreprise. C’est le cas quand l’employeur ne peut pas licencier les salariés (affaire France Télécom) ou quand il ne veut pas mettre en place un plan de licenciement économique. C’est à ce moment-là, non pas un manager, mais la direction de l’entreprise elle-même qui pratique ce que l’on appelle le harcèlement moral démissionnaire.

Quelles précautions prendre quand on dénonce le harcèlement ?

1. Ecrire le mot « harcèlement » (moral ou sexuel) dans la lettre de dénonciation.

La jurisprudence fait preuve de sévérité quant à la qualification des actes de harcèlement moral dans la lettre de dénonciation comme l’illustre un arrêt récent de la Cour de cassation, en date du 29 septembre 2021 (Cass. Soc. 29 sept. 2021 n° 20-14179)

En l’espèce, la directrice marketing d’une entreprise informe son employeur qu’elle est victime de harcèlement au travail au moyen d’une lettre de dénonciation dans laquelle elle se plaint que “son état de santé actuel est la conséquence directe de la dégradation de ses conditions de travail et que l’entreprise est à son égard en manquement grave et répété à son obligation de sécurité…”. Elle fait ensuite l’objet d’un licenciement en date du 5 janvier 2016, au motif d’une insuffisance professionnelle. Elle saisit le Conseil de prud’hommes pour obtenir la nullité de son licenciement au motif qu’elle avait préalablement dénoncé une situation de harcèlement moral. Si la Cour d’appel de Paris lui donne raison, en revanche la Cour de Cassation émet un refus catégorique au motif que “la salariée n’avait pas dénoncé des faits qualifiés par elle d’agissements de harcèlement moral”.

En effet, il n’était pas fait expressément mention dans la dénonciation de « harcèlement moral » écrit noir sur blanc. De ce fait, la salariée ne pouvait prétendre à la protection instaurée par la loi de modernisation sociale de janvier 2002, et donc demander l’annulation de son licenciement au motif qu’elle avait préalablement dénoncé une situation de harcèlement moral.

2. Prouver la réception de la dénonciation

Il ne suffit pas de rédiger correctement la lettre de dénonciation, encore faut-il se réserver la preuve qu’elle est bien parvenue à son destinataire. Si à la place d’une lettre recommandée avec accusé de réception le salarié choisi d’adresser un courriel, il devra démontrer qu’il a bien été reçu.

Le salarié a bien sûr la possibilité de s’adresser, plutôt que directement à un représentant de l’employeur, aux représentants du personnel. De la même façon, pour conserver la preuve de sa dénonciation, il sera inspiré de confirmer les propos tenus lors d’une discussion verbale, par courrier ou courriel. 

En quoi consistent les protections :

  • Interdiction de licencier

Le salarié qui prouve qu’il a en réalité été licencié parce qu’il a dénoncé des faits de harcèlement (moral ou sexuel) considérés comme établis par le Conseil de Prud’hommes, obtient la nullité de son licenciement. La sanction est très lourde. Si le salarié sollicite, en plus de la nullité, sa réintégration, l’employeur devra lui payer le salaire qui aura couru depuis son licenciement (déduction faite cependant des revenus de remplacement – chômage, autres revenus professionnels) jusqu’à sa réintégration, soit plusieurs années de salaire compte tenu des délais de procédure puisque c’est généralement la Cour d’Appel, juridiction de deuxième degré, qui prononce la décision définitive.

  • Obligation pour l’employeur de procéder à une enquête

Quand un salarié dénonce une situation de harcèlement, l’employeur ne peut pas se faire justice à lui-même et déclarer que la dénonciation de harcèlement est infondée. Il est dans l’obligation, en application de la loi et de la jurisprudence,  de procéder à une enquête sur les faits dénoncés.

Si l’employeur n’agit pas, le salarié peut se retourner contre lui. En effet, le refus de l’employeur de diligenter une enquête est nécessairement constitutif d’une faute qui engage sa responsabilité. Le salarié peut alors demander des dommages et intérêts ainsi que la résiliation judiciaire de son contrat de travail. (Cass. soc., 27 nov. 2019, n° 18-10.551).

  • Des moyens de preuves allégés

Il est difficile pour le salarié de fournir la preuve du harcèlement. Ainsi, s’il tente de faire établir des attestations confirmant les agissements qu’il dénonce, il sera confronté à une grande réticence de la part de ses collègues, qui n’entendent pas se fragiliser dans leur emploi.

L’employeur, en revanche, n’aura pas de mal à obtenir des attestations à charge contre le salarié qui, dénonçant le harcèlement, se met ouvertement en conflit avec l’entreprise.

C’est la raison pour laquelle le Code du travail prévoit, en matière de harcèlement et de discrimination, un aménagement de la charge de la preuve. Le salarié est uniquement tenu de démontrer l’existence d’éléments « qui peuvent faire présumer des faits de harcèlement moral ». Il s’agira de brimades, rétrogradation, reproches, etc. dont la matérialité est établie. Il appartiendra alors à l’employeur de démontrer que ces faits qui apparaissent comme des dysfonctionnements, ont une justification et qu’il y a eu exécution loyale du contrat de travail. Ainsi, ce sera par exemple le cas si le salarié se plaint de reproches immérités, alors que l’employeur démontre une insuffisance professionnelle.

  • Seul le salarié de mauvaise foi peut être licencié pour avoir dénoncé à tort du harcèlement

Pour licencier un salarié qui a dénoncé un harcèlement inexistant, l’employeur doit prouver sa mauvaise foi.

Selon un arrêt de la Cour de Cassation du 7 février 2012 (retrouver références) : « Le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis. »

Ainsi, l’employeur qui est bien sûr tenté de licencier le salarié qui a dénoncé des faits de harcèlement qui, au final, se sont avérés inexistants, et ce de façon à dissuader d’autres salariés de se plaindre à leur tour, avec la mauvaise image en résultant pour l’entreprise, ne peut le faire que s’il démontre que le salarié était de mauvaise foi.

Or, la mauvaise foi est particulièrement difficile à établir s’il existe des éléments factuels, par exemple des reproches, que le salarié a ressenti comme une agression, et ce même si l’employeur au final a réussi à prouver qu’ils étaient fondés.

 

En conclusion, le salarié victime d’une situation de harcèlement moral ou sexuel a intérêt, pour pouvoir se protéger, à la dénoncer officiellement. Il doit cependant agir de façon avisée et précautionneuse.


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