Quel délai pour réclamer les congés payés sur les arrêts-maladie anciens ?

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Quel délai pour réclamer les congés payés sur les arrêts-maladie anciens ?

La décision de la Cour de Cassation du 13 septembre 2023 qui autorise les salariés à réclamer les congés payés sur les périodes de maladie entraine une grande incertitude concernant la récupération en justice desdits congés. Incertitude aggravée par les décisions contraires de deux Cours d’Appel. Cadre Averti tente de faire le point.

La règle : délai de 3, ou 4 ans, pour réclamer les congés payés arriérés.

La prescription en matière de salaire est de 3 ans et les congés payés sont des salaires. Le salarié dispose donc d’un délai de 3 ans pour réclamer les congés payés qui auraient dû lui être versés par l’employeur. Toutefois, en cas de rupture de son contrat de travail, quelle qu’en soit la cause, démission, licenciement, rupture conventionnelle, retraite etc., le salarié dispose d’un délai supplémentaire.

En effet, selon le code du Travail, il peut saisir le Conseil de Prud’hommes pour contester le bienfondé de la rupture dans un délai de 12 mois. Et il peut, à cette occasion, réclamer les arriérés de salaire sur la période de 3 ans précédent la date de rupture du contrat de travail.

S’il attend le dernier jour de 12 mois pour saisir le Conseil de Prud’hommes à la suite de la rupture, il pourra alors remonter de 4 ans en arrière pour réclamer les congés payés.

Est-il possible de réclamer les congés payés sur des arrêts maladie antérieurs aux trois dernières années résultant de la prescription en matière de salaire ?

Sur ce point, deux Cours d’Appel, celle de Versailles et celle de Toulouse, ont rendu des arrêts totalement opposés.

Les employeurs doivent attendre la date du 13 septembre 2026 avec impatience ! A cette date-là en effet, il ne sera plus possible de réclamer les congés payés sur maladie pour la période antérieure au 13 septembre 2023 puisqu’il se sera écoulé un délai de 3 ans depuis que le 13 septembre 2023, la Cour de Cassation a permis aux salariés de réclamer les congés payés sur les périodes de maladie.

Pour l’instant, c’est l’incertitude. En effet, selon l’article 2234 du Code Civil, « la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention, ou de la force majeure ». Or, la loi française prévoit toujours à l’heure actuelle que seules les périodes travaillées peuvent donner lieu à congés, ce qui exclut les salariés en arrêts maladie, qui de ce fait, n’ont pas d’activité. Une exception existe, toujours selon la rédaction actuelle du Code du Travail, pour les salariés reconnus en accident du travail ou en maladie professionnelle, mais sur une durée de maladie limitée à un an.

La Cour de Cassation qui doit en principe interpréter la loi française, s’est, le 13 septembre 2023, mis en opposition avec cette dernière puisqu’elle a décidé qu’il fallait à la place appliquer le droit européen selon lequel le salarié a droit aux congés payés quand il est malade, tel que cela s’applique dans tous les pays de l’UE, sauf la France.

Pour la Cour d’Appel de Versailles, rien n’empêchait le salarié de contester le droit français et d’exiger l’application du droit européen.

La Cour d’Appel de Versailles (7 février 2024 – n°21/03103) était saisie du cas d’une salariée qui, postérieurement à la décision de la Cour de Cassation du 13 septembre 2023, revendiquait par de nouvelles conclusions l’application du droit européen en matière de congés payés au titre de sa maladie professionnelle, et ce pour toute la durée de sa maladie qui excédait un an.

Elle est déboutée par la Cour d’Appel au motif qu’alors qu’elle avait la possibilité de réclamer à tout le moins une année de congés payés sur maladie, elle n’avait pas formulé cette demande devant le Conseil de Prud’hommes. Elle ne pouvait donc pour la première fois la présenter devant le second degré de juridiction qu’est la Cour d’Appel.

Toutefois, la Cour d’Appel de Versailles étend aux salariés qui ont été en maladie simple, et donc ni en accident du travail, ni en maladie professionnelle, l’impossibilité de réclamer les congés payés arriérés au motif que même si le droit français les privait de congés pendant les périodes de maladie, ils auraient dû avoir le réflexe de revendiquer les dispositions du droit européen qui les leur accordaient.

Ainsi, selon la Cour d’Appel de Versailles :

- …, « le droit, pour les salariés, d’acquérir des congés payés pendant la suspension de leur contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle ou pour maladie professionnelle ou accident du travail, n’est pas nouveau et correspond à l’état du droit au moment où la salariée a saisi la juridiction prud’homale, seule la limitation d’indemnisation à un an en cas de maladie professionnelle étant écartée de la jurisprudence en sus des arrêts précités. »

La Cour d’appel, visant tous les salariés, dont ceux en maladie « non-professionnelle » prive ces derniers de la possibilité de réclamer les arriérés de congés payés au titre des arrêts maladie pour la période plus ancienne que celle de la prescription, soit 3 ans, ou 4 ans en cas de rupture du contrat de travail.

Selon la Cour d’Appel de Toulouse, les salariés peuvent réclamer les congés payés arriérés sur les périodes de maladie antérieures aux 3 dernières années non prescrites.

La Cour d’Appel de Toulouse, après avoir rappelé que les demandes nouvelles en appel, c’est-à-dire celles qui n’ont pas été formulées devant le Conseil de Prud’hommes, sont en principe irrecevables, constate que « des prétentions peuvent être rajoutées dès lors qu’elles découlent de la survenance ou de la révélation d’un fait. Ce fait peut être juridique. Or, il convient de tenir compte du régime applicable découlant de la non-conformité des dispositions de l’article L.3141-3 du Code du Travail aux droits de l’Union Européenne et plus particulièrement de l’arrêt de la Cour de Cassation du 13 septembre 2023. La demande est ainsi recevable. »

Pour la Cour d’Appel de Toulouse, il y a lieu d’appliquer l’article 2234 du Code civil qui écarte la prescription quand le salarié est « dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi ».

La loi française, en l’occurrence le Code du Travail, limite les congés payés aux périodes travaillées. Les salariés en maladie (sauf ceux en accident du travail on en maladie professionnelle, mais seulement sur une durée d’un an) étaient privés de congés payés, ce jusqu’à ce que la Cour de Cassation n’écarte le droit français pour permettre aux salariés français de bénéficier comme les salariés de tous les autres pays européens des congés payés correspondant aux périodes de maladie.

Si on suit la position de la Cour d’Appel de Toulouse, les salariés peuvent donc saisir le Conseil de Prud’hommes pour réclamer les congés payés sur toutes les périodes d'arrêt maladie antérieures au 13 septembre 2026 puisqu’à cette date-là, le délai de prescription de 3 ans résultant du fait nouveau qu’est la décision de la Cour de Cassation du 13 septembre 2023, prendra fin.

Dans un tel contexte, il faut bien entendu s’attendre à un nouvel arrêt de la Cour de Cassation qui départagera les Cours d’Appel de Versailles et de Toulouse, et bien sûr, à une nouvelle loi pour mettre enfin en conformité le droit français avec le droit européen.


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