Forfait-jours : qui est responsable quand le salarié a renseigné faussement son temps de travail ?

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Forfait-jours : qui est responsable quand le salarié a renseigné faussement son temps de travail ?

L’employeur ne peut se défausser sur le salarié en forfait-jours de son obligation de veiller à la santé et à la sécurité de ce dernier en lui faisant établir ou valider la comptabilisation de son temps de travail. C’est ce que rappelle la Cour de Cassation par un arrêt du 10 janvier 2024 que commente Cadre Averti.

La convention de forfaits-jours peut être consentie à un salarié, même en l’absence d’accord collectif.

Le Code du travail prévoit cependant en cas de convention individuelle de forfaits-jours, des contraintes supplémentaires pour l’employeur. Ainsi, alors qu’un accord collectif de branche ou d’entreprise doit déterminer :

  • « Les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié » ;
  • « Les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail et son articulation avec le droit à la vie privée, sur sa rémunération, ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise » ;
  • « Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion » , (article 3121-64 du code du travail).

La convention individuelle de forfait-jours, pour être valable, soumet l’employeur aux obligations supplémentaires suivantes :

  • « établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des demi-journées ou journées travaillées. Sous la responsabilité de l’employeur, ce document peut être renseigné par le salarié » ;
  • « s’assurer que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires » ;
  • « organiser une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre sa vie professionnelle et sa vie privée ainsi que sa rémunération » (article 3121-65 du Code du Travail). C’est à ce compte-là que la convention individuelle de forfait sera licite.

Avantages et inconvénients de la convention de forfait-jours pour le salarié

Le salarié, qui est souvent cadre, mais pas forcément puisque la convention de forfait-jours peut être consentie à toute personne bénéficiant d’une « réelle » autonomie dans l’organisation de son emploi du temps, n’est plus soumis à des horaires de travail. Il organise lui-même son emploi du temps. Par ailleurs, il bénéficie de jours de congés supplémentaires (RTT), sachant que la convention de forfait-jours ne peut prévoir plus de 218 jours travaillés dans l’année.

Ainsi, alors que l’année 2024 comporte 227 jours travaillés, le minimum de jours de congés de récupération est de 9 jours. Bien sûr la convention de forfait peut prévoir une durée de jours travaillés inférieure.

Toutefois, le risque pour les salariés en forfait-jours qui ne sont plus liés par des horaires quotidiens de travail, et qui sont censés être libres de leur temps, est d’être soumis à une charge de travail qui les oblige, surtout s’ils exercent des postes à responsabilité (cadre), à accomplir en réalité des horaires dépassant très largement les 35 heures par semaine, avec des risques de surmenage et de burn-out, engageant la responsabilité de l’employeur, puisque ce dernier doit veiller à la santé et à la sécurité des personnes qui travaillent pour lui.

Les limites légales à ne pas dépasser en matière d’horaire, même pour les salariés soumis à une convention de forfaits-jours.

Même si le salarié en forfait-jours est censé organiser son temps comme il le veut, l’employeur doit veiller, sauf à engager sa responsabilité pénale, à ce que les limites fixées par la loi soient respectées.

Le salarié doit impérativement disposer :

  • de 11 heures de récupération entre deux journées.
  • de 35 heures de récupération continue au cours d’un même week-end, soit 24 heures supplémentaires sans discontinuité avec les 11 heures de récupération entre deux journées.

Par ailleurs, il ne peut pas travailler plus que :

  • 48 heures au cours d’une même semaine,
  • 44 heures par semaine sur une durée de 12 semaines.

L’employeur qui ne respecte pas ses obligations en matière de convention de forfaits-jours est lourdement sanctionné.

Ainsi, si la convention qu’il fait signer au salarié individuellement, ou en  application d’un accord collectif n’est pas conforme aux exigences du Code du Travail, la convention est annulée et le salarié peut réclamer les heures supplémentaires qu’il a effectuées en sus des 35 heures légales par semaine. C’est la même chose si la convention signée étant licite, l’employeur n’en respecte pas les obligations, telles que par exemple le fait de tenir un entretien annuel spécifique pour évoquer la charge de travail du salarié. Si l’employeur soutient qu’il a évoqué cet aspect à l’occasion de l’entretien annuel d’évaluation, il lui appartiendra de le prouver.

De même, l’employeur doit vérifier que la charge de travail du salarié n’est pas excessive.

Un salarié qui avait validé ses suivis mensuels d’activité peut-il obtenir l’annulation de sa convention de forfait-jours ?

C’est précisément ce que demandait un coordinateur de salons professionnels, licencié pour insuffisance professionnelle au bout de 18 mois et qui soutenait que s’il avait validé, mois après mois, le document de contrôle établi par l’employeur de son temps de travail, c’est en raison de la pression exercée sur lui par la DRH. La Cour de Cassation confirme le 10 janvier 2024 l’arrêt de la Cour d’Appel d’Angers qui avait « constaté que les tableaux de suivi ne reflétaient pas la réalité des jours travaillés par le salarié, peu importait qu’ils aient pu être renseignés par l’intéressé dès lors que ces derniers doivent être établis sous la responsabilité de l’employeur. (Cour de Cassation, 10 janvier 2024, n°22-15.782)

On constate donc que l’employeur ne peut se défausser sur le salarié quand le temps de travail de ce dernier n’est pas correctement renseigné. La convention de forfait-jours est annulée sachant qu’il existait un motif supplémentaire pour le faire. L’employeur ne pouvait pas avoir tenu l’entretien annuel pour discuter de la charge de travail du salarié.

Quid en cas d’annulation de la convention du salaire perçu au titre des jours de RTT.

Si la convention forfait-jours est annulée, elle est censée n’avoir jamais existé et le salarié est donc tenu de restituer le salaire perçu au titre des jours de RTT découlant de cette convention.

Il doit donc faire ses calculs et c’est seulement si le nombre des heures supplémentaires par rapport aux 35 heures par semaine est suffisant, qu’il aura intérêt à réclamer l’annulation de la convention forfait-jours.


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