Congés payés acquis en maladie : le « casse-tête » des arriérés

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Congés payés acquis en maladie : le « casse-tête » des arriérés

Contrairement aux autres salariés européens, les français étaient privés de congés payés quand ils étaient malades, ce qui constituait une discrimination pour maladie. La Cour de Cassation, par 3 arrêts du 13/09/2023 répare cette injustice. Pour cela elle écarte le droit français pour se conformer au droit européen. 

Pourquoi les salariés malades étaient-ils privés de congés payés ?

Les salariés en arrêt de travail pour maladie étaient privés de congés payés en raison de la rédaction de l’article L.4143 du Code du travail stipulant : « Le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur ».

En exigeant que le travail soit « effectif » la loi française prive le salarié qui ne peut pas travailler, puisqu’il est malade, de ses congés pendant la maladie. Or, ce texte est contraire, non seulement au droit européen mais également à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne qui s’est prononcée précisément sur la question (CJUE 24/01/2012, Dominguez C282/10.20) « Le droit aux congés annuels ne peut être subordonné par un Etat membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé ». Le 13/09/2023, la Cour de Cassation décide de ne pas appliquer la loi française et d’accorder des congés payés au salarié malade (Cass. Soc. 13 septembre 2023, n°22-17.638).

Est-ce que le salarié en accident du travail ou en maladie professionnelle a les mêmes droits que le salarié en maladie simple ?

La question se pose puisque jusqu’à présent le salarié en accident du travail ou en maladie professionnelle disposait déjà des congés payés pendant sa maladie, mais seulement pendant un an, tel que fixé par l’article L.3141-5 du code du travail. Heureusement, la Cour de Cassation prononce le 13/09/2023 un arrêt spécifique précisant que cette limitation à un an de l’article L.3141-5 n’est pas applicable puisque contraire au droit européen. Quelle que soit la cause de leur maladie, les salariés malades ont désormais tous les mêmes droits concernant les congés payés (Cass. Soc. 13 septembre 2023, n°22-17.340).

Comment les salariés touchent-ils les congés payés accumulés pendant la maladie ?

Les salariés en arrêt maladie ont dorénavant droit, comme ceux qui travaillent, à deux jours et demi de congés par mois durant leur maladie. S’ils reviennent à l’entreprise, ils pourront alors prendre ces congés, soit immédiatement, soit en les étalant en accord avec l’employeur, soit si le dispositif existe au sein de l’entreprise, en les plaçant sur un CET (Compte Epargne Temps). S’ils ne reviennent pas à l’entreprise en raison, par exemple, d’une démission, d’une rupture conventionnelle ou d’un licenciement pour inaptitude, ils devront percevoir les congés payés accumulés pendant la maladie en salaire sur leur solde de tout compte.

Est-il possible de réclamer les arriérés de congés payés (congés non pris) pour maladie ?

Oui, c’est possible, puisque le nouveau droit pour les malades de percevoir des congés payés, résulte non pas d’une loi mais d’une jurisprudence. Si c’était le législateur qui avait érigé la nouvelle règle, cette dernière se serait appliquée à compter de la date de promulgation de la loi et les salariés n’auraient pas pu réclamer les congés payés acquis antérieurement. Dans la mesure où c’est la Cour de Cassation qui, par un revirement de jurisprudence, décide par ses arrêts du 13/09/2023 d’appliquer le droit européen et donc d’accorder les congés payés au salarié malade, s’agissant d’une décision de justice qui interprète la loi, il n’y a pas de point de départ d’application de la nouvelle jurisprudence qui est donc rétroactive.

Les salariés peuvent donc réclamer les congés payés accumulés en maladie pour des périodes antérieures au 13/09/2023.

Sur quelle période antérieure peut-on réclamer les congés payés arriérés (congés non pris) ?

En principe les congés payés arriérés peuvent être réclamés rétroactivement sur une période de 3 ans puisqu’il s’agit là de la prescription légale concernant la récupération des arriérés de salaire.

Toutefois, la Cour de Cassation s’est prononcée précisément par l’un des arrêts du 13/09/2023 sur le point de départ de la prescription pour réclamer les congés payés arriérés (13/09/2023, n°22/10.529).

Elle le fait en prenant comme exemple, non pas un salarié malade, mais une enseignante travaillant pour un institut de formation dans le cadre d’un contrat de prestation de services et qui parvenait à faire requalifier la relation contractuelle en contrat de travail. La salariée pouvait donc réclamer les congés payés arriérés. L’employeur faisait valoir la prescription de trois ans applicable aux salaires. Or, selon la Cour de Cassation, le délai de prescription ne commence à courir qu’à compter du moment où le salarié peut effectivement exercer son droit à congés payés. Pour l’enseignante, dans la mesure où l’employeur l’avait privée pendant 10 ans des congés payés faute de lui avoir consenti un contrat de travail, c’était donc 10 ans d’arriérés de congés payés qui lui étaient dus, soit 2,5 jours x 12 mois x 10 ans = 300 jours de salaire. Ainsi une salariée obtient 10 mois de salaire au titre des congés payés non pris.

Pour le salarié malade, c’est au jour de la reprise du travail qu’il faut apprécier le délai de prescription.

Certes, il est rare que la période de maladie excède 3 ans, puisqu’il s’agit là du délai maximum de prise en charge par la sécurité sociale des maladies simples, mais en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, ce délai peut être dépassé. Ainsi, un salarié reconnu en maladie professionnelle qui reprend son poste après 4 ans d’arrêt, pourra prétendre à 2,5 jours x 12 mois x 4 ans = 120 jours de congés payés.

Que se passe-t-il si le salarié ne peut pas prendre ses congés lors de son retour ?

Lors du retour d’arrêt maladie, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congés payés. S’il s’oppose à ce que le salarié prenne ses congés payés dès la fin de sa maladie, exigeant par exemple qu’il attende la période d’été suivante, le point de départ de la prescription sera reculé d’autant. Ainsi, un salarié qui ne peut prendre ses congés à son retour alors qu’il a été malade pendant 3 ans, pourra-t-il réclamer les congés payés sur 3 ans et non pas sur 2 ans et demi.

La salarié peut-il réclamer les congés payés non-pris sur les périodes de maladie antérieures ?

Si le salarié n’a pas pris ses congés payés au retour de chaque arrêt maladie précédent, c’est parce qu’il en a été empêché, non pas par l’employeur mais par la loi française elle-même qui n’était pas conforme au droit européen. Le salarié devrait donc logiquement pouvoir récupérer les arriérés de congés sur les périodes antérieures avec le risque, malheureusement, de coûts très conséquents et non-budgétés pour l’employeur.

Pourquoi la décision de la Cour de Cassation d’allouer des congés payés aux salariés malades est-elle « remarquable » ?

Parce que dans la mesure où la Cour de Cassation décide d’appliquer le droit européen, elle doit se conformer à sa propre jurisprudence et déclarer inapplicable l’article L.1235-3 du Code du travail qui a instauré le « barème Macron ». Or, ce barème a été condamné par l’Europe et notamment par le Comité Européen des Droits Sociaux au motif qu’il ne permet pas la juste réparation du préjudice causé par le licenciement abusif et que de ce fait il n’y a plus d’effet dissuasif de la sanction.

De même que pour les congés payés en maladie, la CJUE (Cour de Justice de l’Union Européenne) dont les arrêts sont directement applicables en droit français, s’est expressément prononcée contre les barèmes (CJUE – Olympique Lyonnais SASP / Olivier BERNARD et New Castle UFC 16 mars 2010 – 325/08). Au vu de l’impact du barème Macron sur la motivation des salariés avec les récentes statistiques en matière d’absentéisme et de démission silencieuse, il faut souhaiter que la Cour de Cassation harmonise sa jurisprudence sur la prééminence du droit européen par rapport au droit français et déclare le barème Macron inapplicable au motif qu’il viole le droit européen.

En attendant, même si les conséquences de sa décision risquent d’être un véritable « casse-tête », il faut se réjouir que la Cour de Cassation ait décidé de pallier à la discrimination qui consistait à priver les salariés malades de congés payés.


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