Abus dans la liberté d’expression : licenciement pour faute grave

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Abus dans la liberté d’expression : licenciement pour faute grave

«Comment dit-on lèche-cul en italien ?» dans un arrêt du 8 décembre 2021 (n°20-15798) la Cour de Cassation revient sur deux notions essentielles en droit du travail : la faute grave et la liberté d’expression. 

L’injure, une des limites à la liberté d’expression 

Il convient de rappeler en préambule, que le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, sauf abus caractérisé par le fait que les propos tenus par le salarié comportent des termes injurieux, diffamatoires ou excessifs.  

Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 25 février 2020) statuant sur renvoi après cassation (Cass. soc., 14 décembre 2017, pourvoi n° 15-26.728), le salarié avait été engagé le 24 mars 1999 par une association interprofessionnelle de santé au travail en qualité de comptable et exerçait les fonctions d'adjoint de direction chargé de l'organisation interne et informatique. Le salarié licencié bénéficiait dans les faits d'un statut singulier dans la mesure où la personne auprès de qui ses collègues étaient susceptibles de se plaindre d'un éventuel comportement inapproprié, n'était autre que son épouse, directrice de l’association. Selon les propos rapportés, il pouvait ainsi traiter des collègues de travail de «Kate Moss Moche», «merdeuse de chti», de «naine», «conne de Médard», ou encore de «ritale», ou encore dénommer un service où travaillent deux personnes handicapées le « CAT » (centre d'aide par le travail). 

Une enquête interne a été menée. Dans le cadre de cette enquête, il a été révélé que le salarié avait également tenu très récemment, lors d’une réunion de direction, des propos injurieux et offensants à l’égard d'une salariée en la traitant de «lèche-cul ». «L’intéressé avait tenu, lors d’une réunion de direction (…) à l’égard d’une salariée, Mme [NZ], de nationalité italienne, en lui disant «comment dit-on lèche-cul en italien ? Et bien ça se dit [NZ]». Pour l'employeur ces propos constituaient un abus de la liberté d’expression rendant à eux seuls impossible son maintien dans l’entreprise. Licencié pour faute grave par lettre du 12 novembre 2008, le salarié a saisi la juridiction prud’homale en faisant valoir que les propos adressés par le salarié sur un ton humoristique, bien qu'ils puissent éventuellement être blessants, ne sauraient être considérés comme injurieux, diffamatoires ou excessifs.  

La Cour de Cassation donne raison à l’employeur et valide le raisonnement de la Cour d’appel. Les propos rapportés étaient bien injurieux et constituaient par conséquent une cause réelle et sérieuse de licenciement. 

Le respect de la procédure disciplinaire 

Le salarié fautif faisait également valoir que la procédure de licenciement n’avait pas été respectée, car les propos rapportés dans la procédure de licenciement avait été tenu le 29 mai 2008 soit plus de deux mois avant l’engagement de la procédure disciplinaire. En effet, en application de l'article L. 1332-4 du code du travail : « Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance ». 

Selon une jurisprudence constante, le délai de prescription de deux mois visé à l'article L. 1332-4 du code du travail court à compter du jour où l'employeur «a une exacte connaissance de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés» (Cass. Soc. 7 novembre 2006, n° 04-47683). En l'espèce, il ressort des pièces communiquées que l'employeur n’a eu une connaissance complète tant de la nature que de l'ampleur des faits reprochés au salarié licencié qu'à l'issue de l’enquête. Or cette dernière qui a bien été diligentée dans le délai de deux mois suivant la connaissance des propos tenus, a interrompu le délai de prescription édicté par l'article L. 1332-4 du code du travail. Dans une telle hypothèse, le délai de prescription de deux mois ne commence alors à courir qu’à compter de la communication de ce compte-rendu d’enquête. Les faits reprochés au salarié n’étaient donc pas prescrits. 

Les conséquences de la faute grave

La faute grave rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et entraîne donc son départ immédiat de l’entreprise. Il ne bénéficie pas du préavis et ne touche pas d’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement. En revanche, le salarié licencié conserve ses droits aux congés payés acquis. Il touchera l’intéressement participation et éventuellement sa rémunération variable au prorata, sauf si le contrat de travail la conditionne à l’exécution d’une année civile entière. Enfin, il bénéficiera des indemnités chômage s’il a suffisamment cotisé au régime de l'assurance chômage et il sera pris en charge par Pole Emploi  de façon immédiate puisqu’il aura été privé de son indemnité de préavis (sauf la carence congés payés).


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