Protection du témoin qui dénonce des faits de harcèlement moral contre le licenciement

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Protection du témoin qui dénonce des faits de harcèlement moral contre le licenciement

Nombreux sont les salariés qui, témoins de faits de harcèlement moral subis par leurs collègues ferment les yeux par crainte de représailles de leur employeur. Pourtant, les témoins qui dénoncent officiellement de tels faits bénéficient de la même protection contre le licenciement que la victime. C’est ce que vient de rappeler la Cour de Cassation qui annule, au motif de la liberté d’expression, le licenciement d’un témoin qui avait dénoncé, certes de façon particulièrement virulente, des faits de harcèlement (Cass. soc., 15 février 2023, n°21-20.811). 

Le témoin qui dénonce des faits de harcèlement moral par un e-mail au DG

« Pédant », « odieux », « nuisible », « détesté et détestable : détesté parce que détestable et dangereux car incompétent », voilà comment un membre du comité de direction qualifie son collègue, Directeur administratif et financier de la société, dans un e-mail adressé au Directeur général.

Le résultat ne se fait pas attendre : il est licencié pour avoir abusé de sa liberté d’expression en tenant des propos excessifs et insultants à l’égard d’un membre de la direction.

Toutefois, dans le même courriel, adressé de façon confidentielle à son N+1, le salarié écrivait que : « certaines personnes au siège se sentent harcelées » par le Directeur administratif et financier. La Cour d’Appel avait relevé que le courriel du salarié caractérisait une dénonciation de faits de harcèlement moral que subiraient certains collaborateurs, cette dénonciation étant faite de manière confidentielle pour que l’employeur puisse connaitre la situation et le cas échant prendre les mesures adéquates. Les juges d’appel jugeaient en outre qu’il ne ressortait pas que la dénonciation avait été faite de mauvaise foi, par conséquent, le licenciement était nul.

Liberté d’expression et protection du témoin de faits de harcèlement consacrée par la Cour de Cassation

La Cour de Cassation a été confrontée au dilemme suivant : certes les propos tenus par le dénonciateur vis-à-vis de son collègue du comité de direction étaient violents et susceptibles comme le soutenait l’employeur de valoir à leur auteur, par leur caractère injurieux, insultant et excessif, un licenciement pour abus de la liberté d’expression. Par ailleurs, la référence au harcèlement dans le mail incriminé était particulièrement vague, « certaines personnes du siège se sentent harcelées » sans faire état du moindre fait précis.

Pour donner raison au salarié, la Cour de Cassation s’appuie sur les dispositions de l’article L. 1152-2 du Code du travail qui érige la protection tant de la victime que du témoin de faits de harcèlement.

Elle cite l’article dans sa version applicable au moment des faits :

« Aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ».

Elle a en tête la version actuelle de l’article, modifié depuis le 21 mars 2022 : « Aucune personne ayant subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou ayant, de bonne foi, relaté ou témoigné de tels agissements ne peut faire l’objet des mesures mentionnées à l’article L. 1121-2 ».

Selon la Cour de Cassation :  « Il s’en déduit que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié des faits qu’il dénonce ».

En effet, selon la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, quand un salarié dénonce officiellement une situation de harcèlement moral dont il est victime, ou dont il est témoin, s’il est par la suite licencié et si le conseil de Prud’hommes constate que les faits de harcèlement étaient réels, la sanction pour l’employeur est beaucoup plus lourde.

Au lieu d’être condamné à des dommages et intérêts pour licenciement abusif, qui sont cantonnés, en fonction de l’ancienneté par le barème Macron, il s’exposera à l’annulation du licenciement.

Que désigne la mauvaise foi en matière de dénonciation des faits de harcèlement moral ?

Le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut pas être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce.

C’est à l’employeur à apporter la preuve de la mauvaise foi.

A titre d’illustration, selon un arrêt de la Cour de Cassation du 16 septembre 2020 (n°18-26.696), la mauvaise foi est établie quand un salarié se plaint de harcèlement moral au motif que son employeur ne lui aurait pas donné, pendant plusieurs mois, les motifs de sa sortie de mission, alors que ces derniers avaient été portés à sa connaissance par écrit le 1er juin 2015, et qu’il était à l’origine du blocage de toute communication au mépris de ses obligations contractuelles.

A noter également que la mauvaise foi du salarié peut être invoquée en cours de procès. Ainsi, la Cour de Cassation énonce que l’absence éventuelle dans la lettre de licenciement de mention de la mauvaise foi avec laquelle le salarié a relaté des agissements de harcèlement moral n’est pas exclusive de la mauvaise foi de l’intéressé, laquelle peut être alléguée par l’employeur devant le juge.

Enfin, il est essentiel pour que le salarié qui dénonce en tant que témoin des faits de harcèlement puisse bénéficier de la protection instaurée par la loi de modernisation sociale, qu’il qualifie expressément dans son courrier de dénonciation le harcèlement, c’est-à-dire qu’il écrive le mot « harcèlement ».

Finalement, comment dénoncer des faits de harcèlement moral au travail pour être protégé contre le licenciement ?

Dénoncer des faits de harcèlement moral peut être une décision difficile notamment pour les cadres culturellement plus proches de la direction, mais il est important de prendre des mesures immédiates pour arrêter les comportements préjudiciables, non seulement pour sa propre santé, mais également pour celle de ses collègues.

En pratique, pour éviter de s’exposer à des représailles, il est ESSENTIEL de documenter les faits et de garder une trace écrite de chaque incident de harcèlement moral, y compris la date, l’heure, le lieu, les personnes impliquées et les détails de ce qui s’est passé.

Cela peut être utile en cas de nécessité de prouver ultérieurement les allégations, notamment en cas contentieux.

En définitive, les personnes qui dénoncent ou qui combattent le harcèlement moral ne peuvent pas être sanctionnées pour ce motif. Les sanctions sont uniquement autorisées dans l’hypothèse où le dénonciateur est de mauvaise foi et qu’il fait la dénonciation dans le seul but de nuire, par exemple en se basant sur des faits dont il connait pertinemment l’inexactitude. N’ayez plus peur d’être courageux.


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