Peut-on faire annuler, pour harcèlement moral, une rupture conventionnelle que l’on a demandée ?

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Peut-on faire annuler, pour harcèlement moral, une rupture conventionnelle que l’on a demandée ?

Il est possible de faire annuler une rupture conventionnelle si celle-ci a été obtenue sous la contrainte ou en raison d’un vice du consentement. Par un arrêt du 1er mars 2023 (21-21.345) la Cour de Cassation confirme qu’en cas de harcèlement moral le consentement du salarié à la rupture conventionnelle peut être vicié, même si c’est lui qui l’a demandée. La rupture conventionnelle est alors annulée et le salarié peut prétendre aux indemnités du licenciement nul.

Comment caractériser le harcèlement moral ? 

Pour obtenir la nullité de sa rupture conventionnelle, le salarié, en l’occurrence une salariée, devait tout d’abord démontrer l’existence d’une situation de harcèlement moral. Plus exactement, dans la mesure où la preuve du harcèlement moral est partagée, elle devait produire les éléments factuels laissant présumer l’existence d’un harcèlement, tandis que l’employeur devait, de son côté, justifier qu’il n’y avait pas de harcèlement.

Le harcèlement moral est caractérisé par une conduite abusive qui a pour effet de dégrader les conditions de travail d'un salarié, de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, et de compromettre sa santé physique ou mentale.

Les éléments produits par la salariée pour prouver le harcèlement moral 

Madame F.X. a obtenu des témoignages de nombreux salariés en poste (ce qui est rare et courageux) relatant :

  • Qu’elle était appelée « la bougnoule », « la magrébine » devant ses collègues dans l’open-space « c’est vrai, ce n’était pas grand-chose mais c’était quotidien, plusieurs fois par jour et tout simplement rentré dans les habitudes ».

  • Qu’elle avait reçu un lien vers un site de prostitution lui suggérant une reconversion professionnelle,

  • Qu’en public un de ses collègues lui aurait rétorqué « Tu n’as pas de leçon à donner sauf sur les tajines vu que tu es une arabe »,

  • Que le même collègue, selon un témoin, « m’a également affirmé avoir le soutien de la direction et que AF AG, Directrice générale, lui aurait dit qu’il fallait se débarrasser de F. car elle allait les mettre dans les merde avec ses histoires de racisme ».

La Cour d’Appel d’Aix-en-Provence dans son arrêt du 24 juin 2021 (18/18127) considérait que : « Les pièces démontrent la matérialité de faits précis et concordants. Ceux-ci pris ensemble laissent présumer l’existence d’agissements répétés de harcèlement moral ».

Pour se justifier la société invoque « l’humour » et surtout son score exemplaire dans « The great place to work ».

Tenue dans le cadre du partage de la preuve du harcèlement de justifier que les faits démontrés par la salariée ne caractérisaient pas le harcèlement, la société soutenait que les propos s’inscrivaient dans le cadre de « plaisanteries » qui étaient partagées par la salariée elle-même et que notamment « les propos de Monsieur Y. ne constituent qu’une plaisanterie de mauvais goût, dans le cadre d’une relation professionnelle cordiale ».

Surtout, elle faisait valoir qu’elle était « labellisée » « Great place to work » du fait de l’absence de discrimination et de son « management de l’équité ».

La Cour d’Appel répondait :

  • Le fait que « Madame F.X. ait pu prendre partie aux plaisanteries qui avaient court dans l’entreprise ... n’est pas de nature à exonérer l’employeur de sa responsabilité » et, qu’au surplus, la société n’apportait pas la preuve que « les remarques déplacées dont font état les attestations susdites aient toujours été faites dans un cadre amical ».
  • Concernant le « label d’excellence en matière d’ambiance de travail et d’absence de discrimination » invoqué par l’entreprise, elle constatait qu’il ne portait pas « sur le cas particulier de la relation de travail de Madame F.X. »

Dans ces conditions, pour la Cour d’Appel le harcèlement était caractérisé.

Il y avait vice du consentement entraînant la nullité de la rupture conventionnelle

Ce point était plus délicat. En effet, la salariée ne contestait pas avoir réclamé et obtenu la rupture conventionnelle. Elle reconnaissait qu’elle n’avait jamais dénoncé, ni avant, ni au moment de la rupture, la discrimination et le harcèlement moral. Elle avait attendu 8 mois avant de saisir le Conseil de prud’hommes pour obtenir l’annulation de la rupture conventionnelle.

Or, la Cour de Cassation, par un arrêt du 23 janvier 2019 (Cass. Soc. 17-21.550) avait sanctionné une Cour d’Appel qui avait affirmé « un salarié peut obtenir l’annulation de la rupture conventionnelle du contrat de travail dès lors qu’il est établi qu’elle est intervenue dans un contexte de harcèlement moral, sans avoir à prouver un vice du consentement ».

La société faisait donc valoir que même si le harcèlement moral avait existé, la salariée n’apportait pas la preuve qu’au moment de la signature de la rupture conventionnelle que son consentement était altéré alors qu’elle n’invoquait ni ne démontrait l’existence d’un quelconque trouble psychologique.

Selon la Cour de Cassation par son arrêt du 1er mars 2023 : « La Cour d’Appel a souverainement estimé que la salariée était au moment de la signature de l’acte de rupture conventionnelle dans une situation de violence morale du fait du harcèlement moral dont elle a constaté l’existence ».

Elle confirme donc la position de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence : « Si à la date de signature de la convention de rupture la salariée se trouve dans un état de souffrance morale en raison du harcèlement dont elle était victime et des troubles psychologiques qui en ont résulté, le vice du consentement est caractérisé et la convention de rupture doit être annulée. »

Par la notion de « violence verbale » la Cour de Cassation revient de fait sur l’exigence faite au salarié victime de harcèlement moral et qui demande l’annulation de sa rupture conventionnelle, d’apporter la preuve du vice du consentement.

Il convient en effet de rappeler que le salarié qui a signé une rupture conventionnelle dispose d’un délai d’un an pour demander l’annulation de cette dernière devant le Conseil de prud’hommes et qu’il doit alors démontrer soit la fraude, soit le vice du consentement (ou l’absence de liberté du consentement).

En cas de nullité de la rupture conventionnelle pour harcèlement moral le salarié peut obtenir les indemnités du licenciement nul

Si le salarié démontre qu’il était confronté à une situation de harcèlement moral et qu’il était donc soumis à une « violence morale » affectant son libre consentement lors de la signature de sa rupture conventionnelle, il pourra demander à ce que cette dernière soit annulée et obtenir devant le Conseil de Prud’hommes les indemnités du licenciement nul.

Ainsi, sachant qu’il aura déjà perçu son indemnité légale et conventionnelle de licenciement, puisqu’il s’agit là du minimum que l’employeur doit verser dans le cadre de la rupture conventionnelle, il pourra réclamer :

  • son indemnité de préavis et les congés payés sur préavis
  • les indemnités en réparation du licenciement nul

Toutefois, le salarié ne pourra pas demander sa réintégration dans l’entreprise et le paiement du salaire échu entre le jour de l’expiration de son contrat de travail et le jour de sa réintégration. En effet, en signant la rupture conventionnelle il aura démontré sa volonté de quitter l’entreprise. Il ne pourra donc réclamer que des dommages et intérêts pour licenciement nul et percevra, à ce moment-là, un minimum de 6 mois de salaire, et ce sans limitation de plafond maximum (contrairement au barème Macron applicable en cas de licenciement abusif). 

Au final, le salarié qui aura de lui-même demandé la rupture conventionnelle pour mettre fin à une situation de discrimination et/ou de harcèlement moral pourra, s’il prouve cette situation, faire annuler la rupture conventionnelle et obtenir les indemnités du licenciement nul. 


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