En cas de suppression de la rupture conventionnelle, quelles seraient les conséquences pour l’emploi ?

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En cas de suppression de la rupture conventionnelle, quelles seraient les conséquences pour l’emploi ?

Ce seraient les salariés qui auraient provoqué la hausse du chômage en abusant de la rupture conventionnelle, les jeunes pour s’offrir des vacances au frais de pôle emploi entre deux emplois, et les séniors entre leur dernier emploi et la retraite. Faut-il supprimer, comme annoncé par Madame Borne le 26 novembre, la rupture conventionnelle. Cadre averti rappelle pourquoi elle a été créée, quel changement de mentalité elle a provoqué, dans quels cas elle est utilisée et se prononce sur l’impact de sa suppression sur l’emploi.

La rupture conventionnelle ou licenciement par consentement mutuel.

Créée en 2008 par le gouvernement Sarkozy, la rupture conventionnelle devait déconflictualiser la rupture du contrat de travail, à l’instar du divorce par consentement mutuel instauré en France en 1975. Alors qu’auparavant n’existait que la notion de faute, de l’un ou de l’autre des époux, à partir de 1975, cette notion disparait et dans son sillage le constat d’adultère. Chacun est libre de se séparer de l’autre sans avoir à se justifier. En matière de droit du travail, si le maillon faible qu’était le salarié pouvait librement démissionner, l’employeur, le maillon fort économiquement, devait, à défaut de motif valable, indemniser. Avec la rupture conventionnelle on se quitte bons amis, sans conflit, la notion de préjudice est occultée.

La rupture conventionnelle, seul moyen de négocier avant la rupture du contrat de travail.

La jurisprudence de la Cour de Cassation qui interdisait en 2008 à l’employeur de négocier avec le salarié avant le licenciement est toujours d’actualité. Si l'employeur exerce des moyens de pression sur le salarié avant le licenciement, tel que de le menacer de le licencier pour faute grave s'il n'accepte pas les indemnités proposées, et si le salarié parvient à prouver que la transaction a été signée avant le licenciement, il pourra alors obtenir la nullité de cette dernière. La rupture conventionnelle contourne cette interdiction. Les deux parties étant d’accord pour se quitter négocient la rupture conventionnelle alors que le contrat de travail n’est pas encore rompu. Pour sécuriser le salarié, le code du travail prévoit une procédure spécifique pour la rupture conventionnelle : convocation par écrit à un ou plusieurs entretiens en vue de discuter de la rupture conventionnelle, possibilité pour le salarié d’être assisté par un témoin. Faute de sanction en cas d’irrespect, cette procédure est peu pratiquée.

Rupture conventionnelle + barème Macron, le cocktail gagnant pour réduire les indemnités de rupture.

Depuis la mise en place du barème Macron en 2017, les salariés qui n’ont pas d’ancienneté ont pris conscience que quelles que soient les raisons de leur licenciement et l’importance de leur préjudice ils ne pourront pas obtenir d’indemnités. Ainsi, un directeur commercial âgé, débauché de chez un concurrent uniquement pour son carnet d’adresses et qui est licencié un an après les contacts établis, en étant ligoté de surcroît par une clause de non-concurrence qui l’empêche de se repositionner, ne pourra pas obtenir en justice, une indemnité supérieure à 2 mois de salaire. Il ne saisira donc pas le Conseil de prud’hommes pour un si faible montant et ne pourra, de ce fait, espérer une indemnité transactionnelle qui s’apprécie en fonction du risque judiciaire. il ne refusera donc pas la rupture conventionnelle proposée, les poches toujours aussi plates, mais l’humiliation du licenciement évitée.

Qui provoque l’envolée des ruptures conventionnelles ? Le salarié ou l’employeur ?

Pour déterminer si les 500.000 ruptures conventionnelles de 2022 sont provoquées par les salariés, qui l’utilisent pour s’offrir des vacances aux frais de pôle emploi, avec à ce moment-là une augmentation artificielle du chômage, ou si l’employeur s’en sert comme habillage d’un licenciement d’ores et déjà décidé, il faut se référer à la pratique. Dans quelles situations concrètes le salarié recherche la rupture conventionnelle et pour quelle raison ? De même pour l’employeur.

Dans quels cas le salarié demande-t-il la rupture conventionnelle ?

  • Pour le salarié, le désir de profiter des indemnités pôle emploi

L’avantage de la rupture conventionnelle par rapport à la démission est qu’elle permet au salarié qui veut quitter son emploi de percevoir les indemnités chômage. A moins de faire de l’angélisme, il faut admettre qu’un certain nombre de salariés aspirent à profiter du système pour des raisons peu louables. Toutefois, la rupture conventionnelle n’a pas créé ce phénomène. Avant 2008, le salarié qui voulait « se mettre au vert » abandonnait son poste, provoquant un licenciement qui même pour faute grave ou lourde lui permettait de toucher le chômage. A présent, l’abandon de poste peut être requalifiée de démission mais le salarié peu scrupuleux trouvera toujours le moyen de provoquer l’employeur pour l’obliger à le licencier. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’un des buts de la rupture conventionnelle était de favoriser la mobilité, avec donc des conséquences bénéfiques pour l’emploi puisqu’elle permettait au salarié malheureux dans son poste d’en rechercher un autre de façon efficace en profitant pour cela de la disponibilité et de la sérénité nécessaires ainsi que de l’aide assurée par Pôle Emploi ou l’Apec pour les cadres.

  • Pour le salarié, la rupture conventionnelle réclamée comme alternative à la démission

Dans leur très grande majorité, les salariés veulent travailler et ils sont tenus financièrement de le faire, notamment quand ils ont des charges de famille. Souvent pourtant, au moment de remettre leur démission parce qu’ils ont trouvé un autre emploi, ils réclameront la rupture conventionnelle. C’est le moyen pour eux de tenter d’obtenir des indemnités de rupture au moment de leur départ, que l’employeur leur accordera peut-être si elles ne sont pas trop élevées, ce qui ne sera pas le cas pour un salarié ancien et bénéficiant d’une indemnité conventionnelle de licenciement généreuse (il faut rappeler en effet que les entreprises soumises à une convention collective sont tenues de verser dans le cadre de la rupture conventionnelle l’indemnité conventionnelle de licenciement si elle est plus favorable que l’indemnité légale de licenciement). Si l’employeur refuse la rupture conventionnelle, le salarié démissionnera pour prendre son nouvel emploi. De toute façon, il ne passera pas par la case chômage. Il n’y aura donc pas de conséquences sur l’emploi.

Dans quels cas l’employeur propose-t-il la rupture conventionnelle ?

  • Pour l’employeur, proposer la rupture conventionnelle au lieu de recourir au licenciement pour éviter le conflit

Il faut savoir qu’il est très difficile pour un salarié jusqu’alors investi dans son poste et attaché à son entreprise de supporter à la fois l’annonce de la rupture et le conflit. Il sera tenté d’accepter la rupture conventionnelle qui lui permet de sauvegarder son amour propre, même si c’est au détriment de ses intérêts financiers. S’il n’a pas d’ancienneté, il a identifié qu’il n’avait aucun intérêt à saisir les prud’hommes, n’ayant que des dommages et intérêts judiciaires dérisoires à récupérer du fait du barème Macron. Pourquoi se battre s’il n’y a pas d’enjeu ?

  • Pour l’employeur, proposer in fine la rupture conventionnelle, même après une négociation ardue

Les indemnités de rupture du contrat de travail sont soumises aux mêmes règles sociales et fiscales qu’il s’agisse du licenciement ou de la rupture conventionnelle. Certes, à l’heure actuelle, l’employeur doit acquitter depuis le 1er septembre 2023 s’il choisit la rupture  conventionnelle, une contribution sociale de 30 % mais qui ne porte que sur la part des sommes qui sont exonérées de charges sociales (soit jusqu’à un plafond de 87.984 €). Au final, après s’être entendu avec le salarié sur le montant de ses indemnités de départ, l’employeur lui proposera de décliner lesdites indemnités dans le cadre d’une rupture conventionnelle et le salarié aura tout intérêt à éviter l’affront d’un licenciement. Le choix du mode de rupture, alors que cette dernière est décidée par l’employeur, n’a pas de conséquence sur le chômage dont le salarié devra bénéficier en tout état de cause.

Au final, est-ce que la rupture conventionnelle a un impact sur l’emploi ?

Côté salariés, sans doute la rupture conventionnelle facilite-t-elle le désir de certains de profiter des indemnités pôle emploi pour de mauvaises raisons, mais sont-ils statistiquement beaucoup plus nombreux qu’avant 2008 alors qu’ils disposaient déjà, et disposent toujours, de la faculté de provoquer l’employeur pour lui extorquer un licenciement. Il faut mettre en balance l’avantage que représente pour l’emploi les bienfaits de la rupture conventionnelle pour les salariés qui malheureux, et donc non productifs dans leur poste, pourront efficacement en rechercher un autre grâce à l’aide de pôle emploi.

Du côté de l’employeur, quand ce dernier a pris la décision de se séparer du salarié, le fait qu’il le fasse au moyen de la rupture conventionnelle ou du licenciement n’a pas d’impact sur l’emploi. En revanche, ce qui affecte les chiffres du chômage, c’est la progression du nombre de licenciements entre 2007 et 2022, selon le tableau Statista 2023 ci-dessous :

Progression du nombre de licenciements entre 2007 et 2022 - statista 2023

 

On constate une très forte augmentation des licenciements pour cause personnelle, 977.436 au lieu de 534.520, soit une différence de 442.916, à laquelle il faut ajouter les ruptures conventionnelles à l’instigation de l’employeur qui représentent une partie importante des 500.000 ruptures annuelles. Comment interpréter cette progression qui perdure alors que depuis 2015 la population française au travail de l’ordre de 30 millions de personnes s’est stabilisée démographiquement avant d’entamer une décrue à l’horizon 2035-2040 ?

En 2022, les liquidations de retraite ont été de 776.000. Or, il n’existe plus que 36 % des salariés encore en poste dans la tranche d’âge 60-64 ans, les autres, représentant près deux tiers, ayant quitté l’entreprise auparavant dans le cadre d’un licenciement ou d’une rupture conventionnelle souvent à l’initiative de l’employeur. Voilà sans doute l’explication de cette progression des chiffres du licenciement et de la rupture conventionnelle, sachant que les séniors concernés, ayant peu de chances de retrouver un emploi, percevront jusqu’au bout les indemnités pôle emploi (avant de tomber, pour beaucoup, dans le halo autour du chômage puisque ne pouvant pas faire le joint avec leur prise de retraite).

Comme l’a identifié Monsieur Bruno Le Maire il y a effectivement des économies substantielles à faire sur le coût des indemnités pôle emploi des séniors !

 


À propos de Cadre Averti

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