De plus en plus de licenciements sans entretien préalable, pourquoi ?

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De plus en plus de licenciements sans entretien préalable, pourquoi ?

Alors que la Cour de Cassation vient de sanctionner un licenciement au seul motif que l’employeur n’avait pas respecté le règlement intérieur en matière de procédure de licenciement, on constate que la pratique qui consiste à licencier le salarié sans entretien préalable se répand. Cadre Averti explique ce paradoxe.

La Cour de Cassation intransigeante sur les droits de la défense du salarié menacé de licenciement

Selon un arrêt du 13 septembre 2023 (n° 21-25.830), l’employeur n’avait pas respecté l’obligation fixée par le règlement intérieur de l’entreprise de détailler les griefs reprochés au salarié dans la lettre de convocation à entretien préalable. Le règlement intérieur érigeait une règle supplémentaire par rapport à celle fixée par le Code du travail, selon lequel l’employeur n’est pas tenu de faire connaitre les motifs du licenciement envisagé avant l’entretien préalable.

L’employeur, en ne respectant pas le règlement intérieur avait empêché le salarié de préparer sa défense lors de l’entretien préalable. Il s’agissait en conséquence d’une irrégularité de fond. Le licenciement étant de ce fait dépourvu de cause réelle et sérieuse, quels que soient les motifs.

Toutefois, il s’agissait d’un licenciement notifié le 26 septembre 2016, et la Cour de Cassation se prononce selon le droit applicable au jour du licenciement. A cette époque-là, le juge prud’homal pouvait décider si la violation de la procédure de licenciement fixée par la loi, par une convention collective, ou par un statut, était de nature à affecter les droits de la défense du salarié. Il constatait alors l’irrégularité de fond rendant d’emblée le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Au contraire, s’il estimait qu’il s’agissait d’une simple irrégularité de forme, l’employeur n’était condamné à payer qu’un mois de salaire au maximum.

Avec l’ordonnance Macron du 22 septembre 2017, les violations de la procédure de consultation préalable au licenciement sont devenues obligatoirement des irrégularités de forme

Cette ordonnance (n°2017-1387) s’est traduite dans le ode du travail au moyen notamment de l’article L. 1235-2 § 5 :

« Lorsqu’une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d’un salarié intervient sans que la procédure requise aux articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4, L. 1233-11, L. 1233-12 et L. 1233-13 aient été observées sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l’employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire ».

Quelles conséquences pour l’employeur qui ne respecte pas la procédure de consultation préalable au licenciement

Les conséquences sont extrêmement minimes. Ainsi, quelle que soit la gravité de la violation commise par exemple si l’employeur notifie brutalement le licenciement sans avoir procédé à l’entretien préalable au licenciement, il ne pourra pas être condamné à plus d’un mois de salaire, et encore :

  • A condition que le salarié prouve l’irrégularité commise ;
  • A condition que le salarié justifie de son préjudice. Ainsi un salarié qui se présente à l’entretien préalable avec un témoin alors que la lettre de convocation omettait cette possibilité ne pourra arguer d’un préjudice.
  • A condition que le licenciement soit reconnu bien fondé.

En effet, en cas de licenciement abusif, le salarié a droit à des dommages et intérêts et ne peut donc percevoir en sus l’indemnité pour irrégularité de la procédure.

Quelles sont les raisons qui poussent l’employeur à ne plus respecter la procédure de consultation préalable au licenciement ?

La première raison est bien évidemment la sanction dérisoire, un mois de salaire au maximum, et à condition de justifier du préjudice, qui assure une quasi impunité à l’employeur qui entend faire l’impasse sur l’entretien préalable.

Voilà pourquoi, alors qu’avant 2017, l’entreprise qui omettait de convoquer un salarié à l’entretien préalable au licenciement était souvent une petite structure peu familiarisée avec les exigences du Code du travail, à présent, ce sont des employeurs parfaitement au courant des enjeux qui décident de « zapper » l’entretien préalable, appliquant en cela les conseils donnés par des avocats d’employeurs dans des journaux à large diffusion.

Ils en tirent les bénéfices suivants :

  • Le salarié ne peut pas se faire assister par un représentant du personnel lors de l’entretien préalable. Or, il est important que les membres du CSE, susceptibles d’exercer un contrepouvoir, puissent être au courant de ce qui se passe dans l’entreprise, par exemple quand l’employeur multiplie les licenciements pour cause personnelle pour réduction de la masse salariale ou réorganisation sans passer par la voie du licenciement économique.
  • Le salarié est privé de la possibilité d’organiser sa défense, non seulement au moment de l’entretien préalable mais également plus tard devant le Conseil de Prud’hommes. Surpris par la notification du licenciement qui n’aura été précédée d’aucun signe avant-coureur, il quittera brutalement l’entreprise, ses accès informatiques ayant été immédiatement coupés. Il ne pourra plus accéder aux documents lui permettant de se justifier par rapport aux accusations figurant dans la lettre de licenciement.

Quels sont les risques pour l’employeur qui ne respecte pas la procédure de consultation préalable au licenciement ?

L’employeur ne se place pas en bonne posture vis-à-vis du Conseil de Prud’hommes pour le cas où le salarié déciderait de saisir ce dernier. On peut penser que l’employeur ayant fait la preuve de sa mauvaise foi, les raisons alléguées pour le licenciement seront examinées avec sévérité avec le risque de dommages et intérêts pour licenciement abusif, ou carrément l’annulation du licenciement et la réintégration pour le cas où le salarié aurait dénoncé une situation de harcèlement ou de discrimination avant le licenciement.

Toutefois, si le licenciement n’a pas été précédé par un conflit et si le salarié a peu d’ancienneté, l’employeur ne s’exposera qu’à des dommages et intérêts particulièrement modiques en raison du barème Macon (à titre d’exemple, maximum 3 mois de salaire pour un salarié ayant 2 ans d’ancienneté) et encore si le salarié saisit le Conseil de Prud’hommes, ce qui est peu probable, eu égard à un si faible enjeu. Le risque pour l’employeur est donc particulièrement réduit.

Si l’ancienneté du salarié est importante c’est autre chose. Un salarié qui a 30 ans d’ancienneté peut obtenir des dommages et intérêts pour licenciement abusif allant jusqu’à 20 mois de salaire.

Enfin, dans la mesure où le salarié peut obtenir la condamnation de l’employeur à lui verser des dommages et intérêts pour « licenciement vexatoire » distincts de ceux encadrés par le barème Macron, on peut penser que rien n’est plus brutal et donc plus vexatoire que le licenciement non précédé d’un entretien préalable qui prive le salarié de tout moyen de défense.

Là où l’irrégularité de la procédure de licenciement ne lui vaudra en application de l’article L. 1235-2 du Code du travail qu’un mois de salaire au maximum, le Conseil de Prud’hommes pourra, dans le cas de circonstances vexatoires, lui octroyer plusieurs mois de salaire et ce même si le licenciement est reconnu au final comme bien fondé. Dans ce dernier cas, les dommages et intérêts pour licenciement vexatoire s’ajouteront à l’indemnité pour irrégularité de la procédure. 

Existe-t-il encore des cas où le non-respect de la procédure de licenciement constitue une irrégularité de fond ?

Oui, mais dans la mesure où le non-respect n’affecte pas les dispositions du Code du travail concernant l’entretien préalable au licenciement énumérés dans l’article L. 1235-2, ainsi que « la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement » également visée dans cet article.

C’est la raison pour laquelle il faut rester prudent quant à l’arrêt du 13 septembre 2023 qui érige en irrégularité de fond le non-respect d’une disposition du règlement intérieur concernant la consultation préalable au licenciement, soit le fait de faire connaitre à l’avance par la lettre de convocation les motifs de ce dernier de façon à ce que le salarié puisse se défendre utilement lors de l’entretien préalable.

En revanche, si le non-respect ne porte pas sur la procédure de consultation préalable, il peut toujours constituer une irrégularité de fond. Par un arrêt du 2 décembre 2020 (n°19-19.352), la Cour de Cassation donne raison à un salarié licencié pour insuffisance professionnelle alors que la convention collective des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées qui lui était applicable, exigeait qu’il ait fait l’objet d’au moins deux sanctions disciplinaires avant que n’intervienne son licenciement (sauf faute grave). Or le salarié n’ayant subi préalablement qu’une seule sanction, l’irrégularité de fond était constatée. Cette décision visant un manquement étranger à la procédure de consultation préalable au licenciement n’est pas affectée par l’article L. 1235-2 du Code du travail.

Un autre exemple est le licenciement verbal. 

En cas de licenciement verbal, il y a irrégularité de fond entrainant le caractère sans cause réelle et sérieuse du licenciement

Dans un tel cas ce n’est pas l’article L. 1235-2 du Code du travail mais l’article L. 1232-6 1er§ selon lequel « lorsque l’employeur décide de licencier le salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec accusé de réception ».

Le non-respect de cette formalité constitue une irrégularité de fond, le licenciement étant dès lors, quels que soient les motifs, dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il appartient bien entendu au salarié d’apporter la preuve du licenciement verbal, l’annonce ayant été faite de manière irrévocable, soit à lui, soit à d’autres. Ainsi, selon un arrêt du 23 octobre 2019 (n°17-28.800) la Cour de Cassation constate que caractérise le licenciement verbal, l’annonce faite aux collègues du salarié, en son absence, de son licenciement, alors qu’il était déjà convoqué à un entretien préalable.

Alors que l’employeur faisait valoir qu’il ne s’agissait que d’une irrégularité de forme, entrainant une sanction d’un mois de salaire au maximum, c’est l’irrégularité de fond et donc le licenciement d’emblée sans cause réelle et sérieuse qui a été retenu, la notification écrite prévue par l’article L. 1232-6 étant intervenue postérieurement. 

Rappel du contexte : les motivations des ordonnances travail de septembre 2017 et leurs effets

Les lois travail instaurées en septembre 2017 avaient pour objectif de réduire le chômage. L’employeur ne devant plus payer pour licencier, ne craignait plus d’embaucher. A l’évidence, le premier but, à savoir, décourager les salariés de saisir le Conseil de Prud'hommes en réduisant très fortement les indemnités du licenciement abusif, a été atteint. En 2022, les chiffres clés de la justice édition 2023 font état de 115.516 saisines prud’homales dont 78.554 demandes de contestation du licenciement. En 2007, soit juste avant la création de la rupture conventionnelle, le nombre des licenciements pour cause personnelle était de 534.520 et celui des licenciements économiques de 170.620. En 2022, en sus des 500.000 ruptures conventionnelles, les licenciements pour cause personnelle s'élèvent à 977.436, ceux pour cause économique ayant régressé à 82.603, soit un total de plus d'un million et demi de ruptures à l'initiative de l'employeur (les ruptures conventionnelles étant initiées pour une grande majorité par l'employeur) à comparer aux 700.000 de 2007. Malgré ce doublement, on assiste à une baisse continue des saisines prud’homales qui sont passées en 10 ans de 223.000 en 2009 à 100.000 à 2019.

Baisse continue des saisines prud'homales depuis 2009

Pendant la même période, le taux des contestations du licenciement qui frisait les 25-30% au début des années 2010 est désormais de 78.000 pour 1.060.039 licenciements (977.436 + 82.603) soit 7,3% sur les seuls licenciements de 2022 (sans compter les ruptures conventionnelles).


À propos de Cadre Averti

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