Enregistrement vidéo, audio, attestation anonyme : des preuves admises aux prud'hommes ?

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Enregistrement vidéo, audio, attestation anonyme : des preuves admises aux prud'hommes ?

La preuve prud’homale évolue sous la poussée de la jurisprudence européenne qui consacre le caractère fondamental du « droit à la preuve ». Qu’en est-il à l’heure actuelle pour les preuves illicites ou déloyales autrefois systématiquement rejetées.

Cadre Averti commente quatre décisions récentes en matière de vidéo-surveillance, d’enregistrement audio, d’attestation anonyme et de production de bulletins de paie d’autres salariés. 

 

  1. Une vidéo enregistrée à l’insu d’une salariée peut être retenue comme preuve

Par un arrêt du 8 mars 2023 (n°21-17.802) la Cour de Cassation évoque le cas d’une vendeuse qui, touchant des espèces les mettait dans sa poche plutôt que dans le tiroir-caisse du magasin, ce que révélait un audit de la comptabilité.

La vendeuse est alors placée sous vidéo-surveillance, bien sûr à son insu, et les faits sont confirmés. Au final, l’employeur qui produit la vidéo en justice est débouté. Toutefois, ce qui lui est reproché, ce n’est pas d’avoir produit une preuve illicite, mais d’avoir choisi de produire cette vidéo, alors qu’il avait la possibilité de démontrer les faits de vol par d’autres preuves régulières cette fois-ci, et notamment l’audit qui avait révélé les vols.

A contrario, on constate que si l’employeur n’avait disposé comme preuve que de la seule vidéo, cette dernière aurait pu être admise.

Selon l’arrêt :

« l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraine pas nécessairement son rejet des débats ; qu’il appartient au juge du fond de rechercher si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».

Tout est dit. Le plaideur peut produire aux débats une preuve illicite et le juge doit être extrêmement précautionneux quand il la retient.

 

  1. Un enregistrement audio illicite admis comme preuve en justice

Si l’employeur peut filmer à son insu un salarié et produire la vidéo en justice, la question se pose de savoir, tout d’abord si le salarié de son côté peut enregistrer les propos de son employeur, et ensuite, si l’enregistrement produit en justice peut être retenu comme preuve.

Sur le premier point, un enregistrement audio illicite n’est punissable que si les propos enregistrés concernent la vie privée.

Selon la Cour de Cassation, un enregistrement qui a trait à la vie professionnelle n’est pas un délit et n’est donc pas passible de sanctions pénales.

« Ne constitue pas une atteinte à la vie privée l’enregistrement d’une conversation téléphonique par l’un des interlocuteurs à l’insu de l’autre, lorsque celle-ci porte sur l’activité professionnelle, peu importe que les propos aient été tenus dans la vie privée » (Cour de Cassation du 14 février 2006, n° 05-84.384).

Quant à l’admission en justice d’un enregistrement audio, ce n’est pas la Cour de Cassation mais la Cour d’Appel de Bourges (26 mars 2021, n° 19-01.169) qui se prononce sur la question. Le salarié qui s’estimait victime d’une discrimination lors d’un processus de recrutement produisait l’enregistrement d’une conversation intervenue avec le Président de l’association qui l’employait, laquelle demandait bien sûr à ce que la pièce soit écartée des débats puisque déloyale.

Or, la Cour retient cette pièce comme preuve valable, selon la formulation suivante :

« Il résulte des articles 6 et 8 de la convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales 9 du code civil et 9 du code de procédure civil que le droit à la preuve peut justifier la production en justice d’éléments extraits d’une conversation, même privée, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

Or il n’apparait pas, en l’espèce, que cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, dans la mesure où il s’agit d’une conversation entre le salarié et l’employeur, dans un cadre professionnel, avec un objet professionnel, aux termes de laquelle l’employeur se livre à des confidences utiles aux prétentions du salarié, sans pour autant qu’il en résulte un préjudice pour son interlocuteur.

Dans ces conditions la production de l’enregistrement querellé, confirmé par constat d’huissier, sera admise ».

 

  1. Désormais l’employeur peut produire en justice des attestations anonymes

Jusqu’à présent, pour être prise en compte, l’attestation produite en justice devait respecter le formalisme scrupuleux de l’article 202 du code de procédure civile :

« L’attestation contient la relation des faits auxquels son auteur a assisté ou qu’il a personnellement constaté.

Elle mentionne les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur ainsi que, s’il y a lieu, son lien de parenté ou d’alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communité d’intérêts avec elles .

Elle indique en outre qu’elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu’une fausse attestation de sa part l’expose à des sanctions pénales.

L’attestation est écrite, datée et signée de la main de son auteur. Celui-ci doit lui annexer, en original ou en photocopie, tout document officiel justifiant de son identité et comportant sa signature ».

Or, toutes ces exigences sont balayées par un arrêt de la Cour de Cassation qui, dans un arrêt du 19 avril 2023 (n° 21-21.310) permet à un employeur de produire des attestations anonymes, toujours au motif du « principe de liberté de la preuve en matière prud’homale » résultant de l’article 6 de la convention des Droit de l’Hommes et des libertés fondamentales.

Le contexte est le suivant : il faut absolument permettre aux employeurs d’éradiquer les pratiques toxiques caractérisant le harcèlement moral qui prolifèrent à l’heure actuelle dans les entreprises, perpétrées par des managers d’un certain âge.

Au moindre signalement, l’employeur procède à une enquête pour libérer la parole des victimes. Ces dernières se voient garantir l’anonymat le plus complet. Le supposé harceleur, quand il a connaissance de l’enquête, laquelle peut intervenir à son insu toujours en raison de sa dangerosité, est privé de tous moyens de se défendre. Il ne sait pas qui a témoigné contre lui. Il n’a pas accès au rapport d’enquête, lequel est réservé à l’employeur.

Jusqu’alors c’était donc uniquement une fois qu’il avait été licencié pour harcèlement moral et qu’il saisissait le Conseil de Prud’hommes, qu’il pouvait enfin, des mois sinon des années après, avoir connaissance de ce qui lui était reproché, l’employeur étant tenu de produire des attestations conformes à l’article 202 du Code de procédure civile. Or, c’est désormais terminé. Toujours au motif de protéger les victimes, la Cour de Cassation admet désormais des attestations anonymes ou plus exactement « anonymisées ».

« Si le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés a posteriori afin de protéger leurs auteurs, mais dont l’identité est néanmoins connu de l’employeur, lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence ».

Les attestations anonymes sont ainsi cautionnées par l’arbitre impartial qu’est l’employeur aux yeux de la Cour de Cassation. Et si au contraire le harcèlement moral était un outil prodigieusement efficace pour l’employeur désireux de se séparer de ses cadres anciens, âgés et chers, en faisant ainsi l’économie de leurs indemnités, et en se targuant en même temps auprès des représentants du personnel et des jeunes recrues d’appliquer une tolérance 0 en matière de management toxique ?

S’il est question de produire des attestations anonymes, il faut permettre au salarié de le faire de son côté puisque c’est en réalité lui qui est entravé par l’impossibilité de produire des attestations de la part de ses collègues, qui toujours en poste craignent des mesures de rétorsion de la part de l’employeur.

Ne pourrait-on pas admettre que de telles attestations produites par le salarié soient « anonymisées » par une personne dont la fiabilité ne peut être mise en doute, par exemple un représentant du personnel ou syndical ou encore un huissier de justice ?

 

  1. Des salariés qui se plaignent de discrimination obtiennent la production en justice des bulletins de paie de leurs collègues

La Cour de Cassation est une nouvelle fois dans cette affaire (1er juin 2023, n°22-13.238) écartelée entre deux droits fondamentaux, le droit à la preuve et le droit au respect de la vie privée.

Elle constate toute d’abord l’impossibilité pour les salariés qui se plaignent de discrimination d’apporter la preuve de cette dernière s’ils n’ont pas accès aux éléments comparatifs détenus par l’employeur.

Elle rappelle que « le droit à la protection de données à caractère personnel n’est pas un droit absolu et doit être […] mis en balance avec d’autres droits fondamentaux (en l’occurrence le droit à la preuve) conformément au principe de proportionnalité ».

Elle approuve donc la Cour d’Appel qui avait estimé que « pour effectuer une comparaison utile les salariés devaient disposer d’informations précises sur leurs collègues de travail dont la situation peut être comparée en terme d’ancienneté, d’âge, de qualification, de diplôme, de classification […] que la communication des noms, prénoms étaient indispensable et proportionnés au but poursuivi qu’est la protection du droit à la preuve de salariés éventuellement victimes de discrimination et que la communication des bulletins de paie avec les indications y figurant était indispensable et les atteintes à la vie privée proportionnées au but poursuivi ».

Le primauté est donc donnée à la possibilité de prouver la discrimination et donc d’y mettre fin, par rapport aux dégâts collatéraux subis par les collègues des salariés plaignants dont les données personnelles sont révélées au grand jour puisque l’employeur a reçu ordre de les produire en justice.


À propos de Cadre Averti

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