Les tests en matière de discrimination bientôt pris en charge par l’État ?

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Les tests en matière de discrimination bientôt pris en charge par l’État ?

Selon un projet de loi du 4 juillet 2023, soutenu par le gouvernement, ce serait désormais un service public qui procèderait aux tests statistiques et individuels permettant de lutter contre la discrimination. Cadre Averti précise quelles sont les mesures envisagées par ce projet de loi, ainsi que celles, distinctes, et extrêmement succinctes, concernant la discrimination la plus répandue, celle des seniors en entreprise.

 

Renforcer la lutte contre la discrimination, une nécessité au vu des chiffres

Selon l’INSEE le sentiment de discrimination augmente (4 points de plus en 10 ans) « En 2019/2020, 18% des personnes de 18/49 ans déclarent avoir subi des traitements inégalitaires ou des discriminations contre 14% en 2008/ 2009. L’expérience déclarée de discrimination concerne principalement les femmes. Pour celles-ci le motif sexiste est devenu la cause principale de discrimination ». Sont également particulièrement exposés à la discrimination les immigrés (27%) et leurs descendants (28%), les natifs d’outre-mer (33%) et leurs descendants (36%). Par ailleurs, 1 personne sur 10 se déclarant de confession musulmane, se plaint de discrimination religieuse.

Or, selon la Défenseure des Droits, les discriminations, qui vont en augmentant, restent impunies. Seules 7% des personnes déclarant avoir subi des discriminations ont entrepris des démarches auprès d’une association, d’un syndicat, ou du Défenseur des droits et 2% seulement ont porté plainte. La Défenseure des Droits tire donc la sonnette d’alarme et « demande aux pouvoirs publics d’agir pour prévenir et sanctionner les discriminations qui ruinent notre cohésion sociale » (communiqué de presse du 18 juillet 2022).

 

Pour lutter contre la discrimination, ce serait directement l’État qui pratiquerait le testing en entreprise

Le projet de loi, porté par le député Marc FERRACCI, et le groupe Renaissance à l’Assemblée vise à faire réaliser par un service public, avec donc, un financement public, les tests permettant de prouver, par comparaison, l’existence d’une discrimination.

En matière de droit du travail, c’est surtout à l’embauche qu’il y a possibilité de caractériser la discrimination. Certes, un salarié qui s’estime victime de discrimination peut lui-même effectuer le test en adressant une double candidature, la sienne faisant état de sa « différence » et l’autre au nom d’une personne fictive, identique en tous points sauf le caractère différenciant. Toutefois, même si la réponse aux deux candidatures est différente, il sera difficile de prouver la discrimination alors que les annonces d’offres d’emploi ne représentent que 15% de l’activité de recrutement et que la discrimination prend généralement des formes plus subtiles et donc plus difficilement démontrables.

Désormais, ce serait un service public avec les ressources et les moyens nécessaires qui effectuerait les deux sortes de tests prévus.

 

1. Le test statistique consiste à analyser les réactions de l’employeur sur un grand nombre de candidatures fictives

Il s’agit d’un contrôle d’une certaine envergure, avec les moyens correspondants.

De multiples candidatures fictives, mais similaires, sauf en ce qui concerne le ou les motifs susceptibles de susciter la discrimination, sont adressées à la même entreprise. Les réactions de cette dernière, soit à réception de la lettre, soit dans le cadre du processus de recrutement, seront observées et cataloguées.

En cas de mauvaises pratiques avérées, le service public de lutte contre les discriminations informe l’Administration du travail (ancienne Inspection du travail) « dans le but de contraindre l’entreprise fautive à mettre en place des mesures correctives. Le délai laissé à cette dernière qui doit consulter le CSE, est de 6 mois, auxquels s’ajoutent un nouveau délai de 3 mois en cas de négociation en cours avec les IRP ».

Au final, c’est seulement si l’employeur a négligé de mettre en place un plan d’action contre la discrimination ou s’il a établi un plan qui apparait manifestement insuffisant à l’administration que cette dernière pourra rendre publiques les mauvaises performances de l’entreprise dans un but de dissuasion et lui imposer une amende administrative dont le montant maximal serait de 0,5% de la rémunération versée à l’ensemble des salariés au cours de la dernière année civile.

 

2. Le test individuel

C’est cette fois-ci à la demande de tout salarié s’estimant victime de discrimination que le service public dédié réalisera les tests individuels nécessaires. Il s’agit là d’un formidable outil pour le salarié qui bénéficiera non seulement de l’expertise et du financement assuré par un organisme public, mais surtout du caractère inattaquable des preuves qui peuvent être ainsi produites en justice par le salarié devant le Conseil de Prud’hommes ou le tribunal correctionnel.  Le ministère du travail affirme sur son site internet que le « testing est un mode de preuve admis par la loi ». Il est clair qu’une telle opportunité offerte au salarié victime de discrimination devrait provoquer un très fort engouement. Tout dépendra donc de la réactivité du service public de lutte contre la discrimination et pour cela des moyens dont il disposera.

 

Le projet de loi et la discrimination vis-à-vis des seniors en entreprise

Le principal écueil à la réforme de la loi sur la retraite était la discrimination vis-à-vis des seniors avec la particularité française qui veut que les (grandes) entreprises se séparent de leurs salariés âgés, 4 à 5 ans plus tôt que dans les autres pays européens, avec pour ces derniers, un risque accru, du fait du report de l’âge de la retraite, d’être privés de tous revenus entre le moment où cesse leur indemnisation chômage et le moment où ils peuvent prendre leur retraite. Ils affrontent donc le « halo autour du chômage »,  période de totale paupérisation.

Les mesures censées contraindre l’employeur à conserver ses salariés âgés – index sénior, contrat senior – ont toutes été annulées par le conseil constitutionnel au motif qu’elles étaient étrangères à une loi de financement de la sécurité sociale.

La question se pose de savoir si le projet de loi du 3 juillet 2023 a comme ambition de réparer cette situation très néfaste pour les salariés et la réponse est non.

Selon le projet de loi, le service de lutte contre les discriminations ne serait pas nouvellement créé, mais serait une émanation de la DILCRAH – Délégation Interministérielle de la Lutte Contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Haine anti-LGBT. Certes rien n’exclut les pratiques de teasing pour les salariés âgés, dont plus de la moitié sont remerciés par leur entreprise avant 60 ans, mais il est permis de penser que la DILCRAH aura d’autres priorités que le cas des seniors.

 

Les mesures visant à compenser l’annulation de l’index senior

Le ministre du travail, Olivier DUSSOPT, entend recourir lui aussi à la pratique des testings. Tel qu’il l’a fait valoir le 29 mai 2023, le programme est le suivant : « Tirer au sort chaque année, un certain nombre d’entreprises parmi les plus grandes pour un testing lié à l’âge ». Toutefois, selon le ministre du travail, il n’est pas question de stigmatiser les mauvais élèves en les dénonçant publiquement, mais uniquement de les aider à comprendre comment elles ont pu en arriver là « le sujet sera plutôt de bien mesurer quels sont les biais et les stéréotypes qui peuvent freiner l’accès à l’emploi des seniors ».

Il est inutile de gâcher des fonds publics pour tester la discrimination à l’embauche des seniors alors que la difficulté majeure pour ces derniers est de pouvoir conserver leur emploi. Et il n’est nul besoin de « testing » pour permettre à l’entreprise d’identifier les « biais » et les « stéréotypes » qui la poussent à mettre fin de façon prématurée à l’emploi de ses salariés âgés. Il suffit de consulter le registre unique du personnel où figurent les dates d’arrivée et de départ des salariés ainsi que leur date de naissance.

Pour les grandes entreprises, le sort réservé aux seniors, tant en matière de maintien en poste que de recrutement, apparait avec la plus grande précision !

En l’absence de toute mesure incitative ou coercitive, les entreprises qui pratiquent la discrimination vis-à-vis des seniors ne devraient rien changer à leurs habitudes.


À propos de Cadre Averti

Conçu par Françoise de Saint Sernin, avocate spécialisée dans la défense des intérêts des cadres et dirigeants au sein du cabinet saintsernin-avocats.fr, Cadre Averti a pour ambition de répondre aux premières interrogations de salariés confrontés à un aléa de carrière. Ce site propose ainsi un grand nombre de fiches techniques permettant immédiatement de comprendre les enjeux d’un dossier et de se repérer dans le maquis des textes.

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