Les indemnités chômage en cas d’abandon de poste non justifié, c’est terminé !

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Les indemnités chômage en cas d’abandon de poste non justifié, c’est terminé !

Est-ce qu'on touche le chômage pour abandon de poste ? Jusqu’à présent le salarié licencié avait droit aux indemnités pôle emploi quelle que soit la raison de son licenciement, y compris pour faute grave ou même lourde. Désormais, l'article L. 1237-1-1 introduit dans le Code du travail prévoit une présomption de démission en cas d'abandon de poste, après mise en demeure par l’employeur. Dans ce cas de figure le salarié sera privé du bénéfice du régime d'assurance chômage.

Une augmentation des cas d’abandon de poste

Cette mesure serait rendue nécessaire en raison de l’augmentation importante des cas d’abandon de poste, le salarié désireux de quitter son employeur mais n’ayant pas d’autres perspectives professionnelles décidant d’abandonner son poste pour provoquer son licenciement et ainsi, du seul fait du licenciement, percevoir les indemnités chômage. S’agit-il de la seule raison de cette augmentation, les salariés étant devenus statistiquement plus paresseux et moins honnêtes qu’auparavant ? Nombreux pourtant sont ceux qui se voient proposer par leur employeur un licenciement pour abandon de poste suivi d’une transaction comme alternative à la rupture conventionnelle, notamment quand cette dernière est trop coûteuse du fait de l’ancienneté du salarié (puisque dans le cadre de la rupture conventionnelle le salarié doit percevoir au minimum le montant de son indemnité légale ou conventionnelle de licenciement).

Avant de licencier le salarié pour désertion de poste, l’employeur doit le sommer de reprendre son emploi

Il ne s’agit pas en effet pour l’employeur de sanctionner immédiatement une absence, quelle qu’en soit la durée, par un licenciement pour désertion de poste avec la privation des indemnités chômage infligée désormais au salarié.

Selon le nouveau texte, l’article L.1237-1-1 du code du travail serait ainsi rédigé « Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure à cette fin, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, est présumé démissionnaire ».

« L’objectif est de limiter le recours des salariés à la pratique de l’abandon de poste lorsqu’ils souhaitent que leur relation de travail cesse, tout en étant indemnisé par l’assurance chômage » selon les auteurs des amendements. En revanche, « cette disposition ne s’appliquerait pas aux salariés qui quittent leur poste pour des raisons de santé ou sécurité conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation sur les abandons de poste ».

Ce n’est qu’après avoir sommé officiellement le salarié de reprendre son poste que l’employeur pourra démarrer la procédure de licenciement pour désertion de poste. Le salarié de bonne foi aura intérêt à se faire assister lors de l’entretien préalable. Il pourra en effet disposer ainsi d’un compte-rendu d’entretien préalable certifié par un témoin. Si ce dernier est un représentant du personnel ou un conseiller extérieur, sa parole ne pourra pas être mise en doute. Le salarié invoquera alors les raisons pour lesquelles il estime qu’il n’y a pas d’abandon de poste. L’employeur devra tenir compte des arguments invoqués et y répliquer quand il établira la lettre de licenciement, sauf à apparaître de mauvaise foi.

Dans quels cas le salarié peut-il quitter son emploi sans qu’il y ait abandon de poste ?

  1. Le salarié malade doit adresser l’arrêt maladie délivré par son médecin à l’employeur dans les 48 heures. S’il ne le fait pas, ou si son courrier se perd, il aura alors la possibilité de le produire à réception de la sommation de reprendre son poste que son employeur est dans l’obligation de lui adresser avant d’envisager de le licencier.
  2. Si le salarié estime qu’il est placé dans une situation dangereuse, avec un risque pour sa santé physique (par exemple sur un chantier) mais également pour sa santé mentale (harcèlement moral) il peut alors exercer son droit de retrait en application de l’article L.4131-1 du code du travail « Le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d’une telle situation ».
  3. Le salarié qui fait grève, mais à condition de démontrer que les trois conditions suivantes sont réunies :
    1. Arrêt total du travail
    2. Arrêt collectif du travail pour l’ensemble des salariés grévistes
    3. Formulation de revendications professionnelles
  4. A cela s’ajoutent bien évidemment les cas de force majeure dans lesquels le salarié dans l’impossibilité de reprendre son poste est également dans celle de prévenir son employeur.

Quid des indemnités pôle emploi si le salarié licencié pour abandon de poste conteste son licenciement et gagne ?

Le salarié licencié pour abandon de poste a toujours la possibilité de saisir le Conseil de Prud’hommes dans le délai d’un an à compter de la réception de sa lettre de licenciement. S’il obtient gain de cause, son licenciement étant jugé abusif, il percevra alors de façon rétroactive les indemnités pôle emploi qui auraient dû lui être versées dès son licenciement (après cependant la carence pôle emploi et un délai de 7 jours).

Mais que se passe-t-il si le Conseil de Prud’hommes considère que l’abandon de poste a été accompagné de circonstances atténuantes et que le licenciement pour faute grave doit être requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse avec condamnation de l’employeur à payer l’indemnité de préavis et l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement.

Si l’on applique le nouveau texte (article L.1237-1-1), le salarié présumé démissionnaire n’a pas droit aux indemnités chômage. Mais si la faute a été considérée comme « simple » et non pas « grave » il serait choquant qu’il soit privé du chômage. C’est la jurisprudence qui décidera.

Précisons enfin qu’en raison de la longueur habituelle des procès prud’homaux et le risque que le salarié licencié abusivement pour abandon de poste ne soit privé du chômage pendant des mois sinon des années, le nouveau texte aménage une procédure accélérée : « L’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui se prononce sur la nature de la rupture et les conséquences associées. Il statue au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine ».

Malheureusement, à l’heure actuelle, les délais d’audience du bureau de jugement devant le Conseil de Prud’hommes peuvent être de plusieurs années, sans compter ceux de la Cour d’Appel, juridiction de deuxième degré !

Il faut espérer que le dernier alinéa de l’article L.1237-1-1 qui prévoit « Un décret en Conseil d’Etat détermine les modalités d’exécution du présent article » permette réellement au salarié licencié abusivement pour abandon de poste de percevoir rapidement ses indemnités chômage.

Quelles conséquences financières pour le salarié qui abandonne son poste sans raison ?

Du fait du nouveau texte, le salarié licencié pour abandon de poste est privé de son indemnité de préavis et de son indemnité légale ou conventionnelle de licenciement. Il ne touche que son indemnité de congés payés et, éventuellement, son prorata de variable et de 13ème mois. Il perd ses droits au chômage, sauf s’il arrive à démontrer que son licenciement est abusif. Dans la mesure où la désertion de poste implique un départ immédiat et sans avoir respecté le délai de préavis auquel il est tenu en cas de démission, l’employeur pourra demander, comme en cas de prise d’acte de rupture requalifiée en démission, qu’il soit tenu de lui verser le salaire du préavis non effectué (trois mois pour les cadres).

Davantage encore, l’employeur pourra réclamer des dommages et intérêts supplémentaires en démontrant que le départ brutal du salarié, qui n’a pas permis d’organiser à l’avance son remplacement, a entraîné un préjudice à l’entreprise. La condamnation pourra être élevée.

Abandon de poste assimilé à une démission : la réforme validée ? 

Alors que 60 députés avaient saisi le Conseil Constitutionnel le 18 novembre 2022 contre l’assimilation de l’abandon de poste à une démission, les juges constitutionnels ont considéré que la réforme ne contrevient pas à notre Constitution. Les parlementaires faisaient en effet valoir que le nouvel article L. 1237-1-1 instituant une présomption de démission du salarié en cas d'abandon de poste prive du bénéfice du régime d'assurance chômage des personnes conduites à abandonner leur poste pour des motifs indépendants de leur volonté. Elles seraient ainsi contraires au principe d'égalité devant la loi. Au contraire selon la décision rendue le 15 mars par la Cour de Cassation, ces dispositions sont conformes à la Constitution : « d'une part, les dispositions contestées ne s'appliquent que dans le cas où le salarié a volontairement abandonné son poste » ; « d’autre part, le salarié ne peut être réputé démissionnaire qu'après avoir été mis en demeure, par son employeur, de justifier d'un tel motif et de reprendre son poste dans un délai déterminé ». 

Quels recours en justice pour contester l'abandon de poste assimilé à une démission ?

Comme le relève la Cour de Cassation, « la présomption de démission instituée par les dispositions contestées est une présomption simple, qui peut donc être renversée par le salarié qui entend contester la rupture de son contrat de travail ».  Le salarié qui souhaite démontrer qu’il a abandonné son poste pour un motif légitime peut ainsi saisir le conseil de prud'hommes au fond, à l’issue d’une procédure similaire au référé, sans conciliation préalable, qui devrait statuer dans un délai d'un mois à compter de sa saisine. Reste à savoir comment la procédure se matérialisera en pratique tant les juridictions du travail sont déjà saturées. 

 

Il ne fait aucun doute qu’avec le nouveau texte qui le requalifie en démission, avec privation des indemnités chômage, l’abandon de poste qui présentait déjà un risque important pour le salarié est désormais un mode de rupture du contrat de travail à bannir.


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