Le salarié malade peut-il être déclaré inapte et donc licencié pour inaptitude ?
Publié leQu’est-ce que l’inaptitude ?
L’inaptitude correspond à la situation dans laquelle un salarié est dans l’impossibilité d’exécuter tout ou partie de ses fonctions pour des raisons médicales. Elle relève exclusivement de l’appréciation du médecin du travail.
Le médecin du travail déclare le salarié inapte lorsqu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail n’est possible, ou lorsque ces mesures seraient insuffisantes pour permettre la poursuite de l’activité professionnelle sans danger pour la santé du salarié.
L’inaptitude peut être :
- partielle ou totale,
- d’origine professionnelle (accident du travail ou maladie professionnelle) ou non professionnelle.
Elle se distingue fondamentalement de l’arrêt maladie :
- l’arrêt maladie constate une incapacité temporaire de travail,
- l’inaptitude constate une incompatibilité durable entre l’état de santé du salarié et son poste de travail
Les conséquences de l’inaptitude pour le salarié :
En cas d’avis d’inaptitude partielle, une obligation de reclassement pèse sur l’employeur. Celui-ci doit rechercher un poste de reclassement compatible avec les préconisations médicales. Cette obligation est renforcée et doit être sérieuse, loyale et individualisée.
Autrement, l’employeur peut engager un licenciement pour inaptitude en cas :
- d’avis d’inaptitude totale (c’est-à-dire si le salarié est inapte à tout poste),
- ou si aucun reclassement conforme aux préconisation du médecin du travail ne peut être proposé par l’employeur,
- mais également si le salarié refuse la proposition de reclassement conforme ;
Le licenciement pour inaptitude obéit à un régime spécifique, distinct du licenciement pour motif disciplinaire ou économique.
Selon l’origine de l’inaptitude, le salarié peut bénéficier :
- d’indemnités spécifiques (notamment en cas d’inaptitude professionnelle),
- du maintien de certaines indemnités pendant la période d’arrêt maladie.
Quand l’avis d’inaptitude intervient-il ?
Traditionnellement, l’inaptitude est constatée à l’occasion de la visite de reprise, organisée à l’issue de l’arrêt de travail. Cette approche reposait sur une double logique :
D’une part, l’arrêt maladie était analysé comme traduisant une incapacité temporaire de travail, incompatible avec la notion même d’inaptitude, laquelle suppose une impossibilité durable d’occuper le poste. D’autre part, et surtout, le contrat de travail étant suspendu pendant l’arrêt maladie, il était classiquement admis que l’avis d’inaptitude ne pouvait valablement intervenir pendant cette suspension du contrat.
Cette conception a toutefois été progressivement assouplie par la jurisprudence. Ainsi, par un arrêt du 24 mai 2023 (n° 22-10.517), la Cour de cassation avait admis la validité d’un avis d’inaptitude rendu au cours d’une période de suspension du contrat de travail, dès lors qu’il faisait suite à une visite médicale sollicitée à l’initiative du salarié.
La Cour de cassation assouplit encore d’avantage les conditions dans lesquelles l’avis d’inaptitude peut être prononcé dans un arrêt du 10 décembre 2025 (n° 24-15.511).
Dans cette affaire, la cour a considéré que le médecin du travail peut valablement constater l’inaptitude d’un salarié alors même que celui-ci est toujours en arrêt de travail.
En l’espèce, le salarié, dont l’arrêt de travail arrivait à échéance, avait été convoqué par son employeur à un examen médical afin que le médecin du travail se prononce sur son aptitude. Toutefois, entre la convocation et la tenue de la visite, l’arrêt de travail avait été prolongé, de sorte que le contrat de travail demeurait suspendu au jour de l’examen.
Par cette décision, la Cour consacre donc l’autonomie de l’avis d’inaptitude à l’égard de la suspension du contrat de travail liée à l’arrêt maladie.
Le risque d’une insécurité juridique accrue pour l’employé placé en arrêt maladie ?
La portée exacte de cette décision demeure incertaine.
En effet, l’arrêt ne précise pas si, dans l’affaire soumise à la Cour, le salarié a fait l’objet d’un reclassement ou d’un licenciement pour inaptitude, ni dans quelles conditions celui-ci aurait été engagé. Cette absence de clarification laisse subsister un doute quant au régime juridique applicable à l’inaptitude ainsi prononcée en cours d’arrêt maladie.
Si le licenciement des salariés malades était déjà rendu possible (notamment étendu en cas de maladie prolongée nécessitant un remplacement dans le poste), cette décision suscite, en pratique, une inquiétude légitime : peut-on désormais considérer qu’un salarié placé en arrêt de travail est exposé à un licenciement immédiat pour inaptitude, sans reprise préalable ni consolidation de son état de santé ?
Si la réponse doit nécessairement rester négative au regard des exigences strictes pesant sur l’employeur en matière de reclassement et de respect de la procédure, la décision n’en ouvre pas moins la voie à une fragilisation, voire une précarisation de la protection attachée à l’arrêt maladie, appelant à une vigilance accrue tant de la jurisprudence que de la pratique.
Quels recours et quelles garanties pour le salarié ?
Face aux incertitudes soulevées par la possibilité de prononcer une inaptitude en cours d’arrêt maladie, et en l’attente de précisions supplémentaires sur le régime de cette inaptitude, plusieurs garanties demeurent toutefois ouvertes au salarié :
- Tout d’abord, l’avis d’inaptitude peut être contesté devant le conseil de prud’homme dans les conditions prévues par le Code du travail ;
- Ensuite, comme le rappel l’avocat général dans son avis sur la présente affaire : le fait pour le salarié de ne pas se présenter à l’examen médical auquel il est convoqué ne constitue pas, à lui seul, une faute disciplinaire.
Enfin, lorsque la rupture du contrat intervient alors que le salarié est encore placé en arrêt de travail, sans reprise effective ni stabilisation de son état de santé, il existe un risque que le licenciement soit motivé, en réalité, par la pathologie elle-même. Or, l’état de santé constitue un motif prohibé de discrimination. Si l’employeur ne démontre pas le strict respect de ses obligations, notamment en matière de reclassement, le licenciement pour inaptitude encourt la nullité.