Démission en cas de clause de non-concurrence ; les conséquences peuvent être très graves

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Démission en cas de clause de non-concurrence ; les conséquences peuvent être très graves

Beaucoup de salariés ne se préoccupent pas de leur clause de non-concurrence quand ils démissionnent persuadés que l’employeur la lèvera pour s’exonérer du paiement de la contrepartie financière ou qu’ils ne seront pas en situation de concurrence dans leur nouvelle activité. Un arrêt de la Cour de Cassation du 24 janvier 2024, que commente Cadre Averti, devrait les inciter à être beaucoup plus vigilants.

La clause de non-concurrence : une entrave considérable pour chercher un autre emploi quand on est encore en poste.

L’employeur a toujours intérêt à imposer au salarié une clause de non-concurrence dans son contrat de travail même s’il n’a aucune intention de payer la contrepartie financière. Certes, une clause de non-concurrence qui ne prévoit pas d’indemnité compensatrice est nulle, cela depuis 2002. Toutefois, quand l’employeur rédige la clause, il se réserve généralement la possibilité de la supprimer au moment de la rupture du contrat de travail (démission ou licenciement) et de se soustraire ainsi au paiement de l’indemnité de non-concurrence.

Comme le salarié ne sait pas à l’avance quelle sera la décision de l’employeur, il est obligé d’éconduire toutes les propositions d’embauche émanant d’entreprises concurrentes. Il ne peut prendre le risque de démissionner sans savoir à l’avance ce que fera l’employeur. Si ce dernier maintient la clause de non-concurrence, ce qu’il fera surtout si l’indemnité de non-concurrence est faible (par exemple 20 à 25 % du salaire), ou s’il craint que le salarié ne parte à la concurrence, puisque c’est forcément là que c’est le plus facile de retrouver un emploi, les conséquences seront graves. Le salarié ne pourra pas prendre son nouvel emploi et ayant démissionné il sera privé des indemnités chômage.

Le salarié privé de l’indemnité de non-concurrence même s’il ne se livre plus à des agissements concurrentiels.

La Cour de Cassation, par son arrêt du 24 janvier 2024 (n° 22-20.926) instaure une différence selon la période à laquelle le salarié a enfreint l’interdiction de concurrence. Le salarié a en effet droit de toucher l’indemnité de non-concurrence pendant toute la période où il a respecté cette dernière. Ce n’est qu’à partir du moment où il viole la clause qu’il doit être privé de la contrepartie financière, et ce même s’il se met à nouveau en conformité avec les obligations de la clause de non-concurrence, avant que cette dernière ne cesse.

Le salarié qui avait démissionné sans se préoccuper à l’avance des effets de la clause de non-concurrence est lourdement pénalisé.

Il s’agit d’un cadre technico-commercial qui avait signé une clause de non-concurrence d’une durée de deux ans rémunérée à hauteur de 30 % du salaire mensuel. Après sa démission, son employeur lui annonce qu’il entend maintenir la clause de non-concurrence et arguant que le salarié a rejoint une entreprise qu’il estime concurrente, il l’attaque pour violation de l’interdiction de concurrence. Le nouvel employeur, ne voulant sans doute pas d’histoires, met fin à la période d’essai du salarié, lequel saisit la justice pour faire reconnaître que la clause de non-concurrence n’était pas valable.

Le Conseil de prud’hommes de Béthune valide la clause, mais constatant que le salarié ne l’a pas violée, elle lui alloue le solde de l’indemnité de non-concurrence. La Cour d’appel de Douai le 24 juin 2022 confirme la validé de la clause de non-concurrence au motif que même si le cadre technico-commercial soutenait que l’activité concurrentielle entre les deux entreprises était « marginale », « la violation même partielle d’une clause de non-concurrence entre dans les prévisions de ladite clause ». Constatant cependant que le salarié avait cessé, pour ne plus les reprendre, les agissements concurrentiels du fait de la rupture de sa période d’essai en août 2018, elle lui allouait les 18 mois d’indemnité de non-concurrence qui restaient à courir jusqu’à l’expiration de la clause en janvier 2020.

Ce n’est pas l’avis de la Cour de Cassation. Selon cette dernière, si le salarié respecte initialement la clause de non-concurrence pour l’outrepasser à un certain moment, il peut conserver la contrepartie financière perçue lors de la période antérieure à la violation de la clause et ce, conformément à la jurisprudence établie (Cass. Soc. Du 18 février 2003, n° 01-40.194). En revanche, s’il enfreint la clause au départ, il ne peut plus réclamer le paiement de l’indemnité de non-concurrence et ce, même s’il démontre avoir mis fin de lui-même, totalement et définitivement aux agissements concurrentiels et respecté strictement la clause.

Ainsi, un salarié lié par une clause de non-concurrence de deux ans percevra 18 mois d’indemnité de non-concurrence s’il entre chez un concurrent 6 mois avant la fin de la période de deux ans. En revanche, si comme le technico-commercial concerné par l’arrêt, le salarié, après avoir enfreint la clause, la respecte à nouveau pendant 18 mois, il sera privé de toute indemnité de non-concurrence.

Les conséquences pour le salarié sont particulièrement lourdes, alors que l’on a compris, puisque le Conseil de prud’hommes de Béthune indique qu’il n’a pas commis de faits caractérisant la violation de la clause, que le salarié ne s’est pas préoccupé de la clause de non-concurrence quand il a démissionné pour rejoindre un nouvel employeur, et ce d’autant plus que l’activité de l’ancienne et de la nouvelle entreprise n’était que partiellement concurrente (marginale selon le salarié).

Au final, du fait de l’action de son ancien employeur, il perd son emploi en période d’essai, il ne peut pas prétendre aux indemnités France travail, puisqu’il a démissionné, et il est privé de la totalité de l’indemnité de non-concurrence pour les deux ans de durée de la clause, soit au total 7,2 mois de salaire.

Si, au surplus, bien que ne touchant pas l’indemnité de non-concurrence il doit s’abstenir pendant 18 mois de rechercher un emploi là où il a des chances d’en trouver, c’est-à-dire à la concurrence, la sanction est « carabinée ».

En cas de manquement à la clause de non-concurrence le salarié est traité plus sévèrement que l’employeur.

La Cour de Cassation ne se prononce pas sur le fait de savoir si le salarié qui est privé, à titre de sanction, de l’indemnité de non-concurrence jusqu’à l’expiration de clause est cependant tenu de respecter l’obligation de non-concurrence. Ce, alors que cette indemnité est la contrepartie de l’impossibilité d’exercer une activité concurrentielle et que toute sanction doit être appréciée en fonction de la faute commise et du préjudice causé. En l’occurrence, il est reconnu que le salarié n’avait commis aucun agissement de concurrence.

Cette décision est d’autant plus étonnante que dans un arrêt du 20 novembre 2013 (n° 12-20.074), la Cour de cassation avait considéré que le fait qu’un employeur qui s’était abstenu de régler à la fin du mois l’indemnité de non-concurrence au salarié, lequel en avait tiré comme conclusion qu’il était libéré de la clause, n’avait pas commis une faute « d’une gravité suffisante ».

On constate donc qu’il y a deux poids deux mesures.


À propos de Cadre Averti

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