48H de travail dans une semaine : le seul constat du dépassement ouvre droit à réparation 

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48H de travail dans une semaine : le seul constat du dépassement ouvre droit à réparation 
Alors qu’il n’est pas rare dans certains secteurs de devoir travailler 50, 60 ou même plus de 70 heures par semaine, la Cour de Cassation (Cass. Soc., 26 janvier 2022, n° 20-21.636) vient rappeler à l’ordre les entreprises. Désormais « le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à la réparation » (en plus du droit au paiement des heures supplémentaires). 

Est-ce légal de travailler plus de 48h par semaine ?

Non ! D’abord, parce qu’un employeur a une obligation de sécurité envers ses salariés. Ensuite, la Directive 2003/88/CE prévoit que les États membres prennent les mesures nécessaires pour que la durée moyenne de travail n’excède pas 48 heures sur 7 jours, moyenne qui doit être respectée sur une période de référence pouvant aller jusqu’à 4 mois maximum. En France, la durée maximale de travail au cours d’une même semaine est de 48 heures (article L. 3121-20 du code du travail). Le droit français prévoit également un second garde-fou de 44 heures en moyenne sur une période de 12 semaines.

Le salarié doit-il démontrer que les heures supplémentaires lui ont causé un préjudice ? 

Non. C’est tout l’intérêt de la décision rendue par la Cour de Cassation le 26 janvier 2022. En l’espèce, un chauffeur livreur avait été engagé par une société de livraison. Le salarié faisait valoir que le dépassement de la durée maximale de travail hebdomadaire lui causait nécessairement un préjudice qu’il appartenait aux juges du fond de réparer, dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité, par l’octroi soit de temps de repos supplémentaire soit de dommages-intérêts. Après avoir constaté que le salarié avait travaillé 50,45 heures durant une semaine, la cour d’appel avait débouté le salarié de sa demande au motif que celui-ci devait démontrer très exactement en quoi ces horaires chargés lui avaient porté préjudice et, qu’en l’état des éléments soumis, ce préjudice n’était pas suffisamment démontré. La Cour de Cassation a contredit cette décision. Le salarié est bien-fondé à solliciter des dommages-intérêts pour violation de la durée maximale de travail même sans démontrer en quoi ce dépassement lui a porté préjudice.

Un revirement de la Cour de Cassation

Dans cet arrêt du 26 janvier 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation contredit sa jurisprudence selon laquelle le préjudice doit être systématiquement établi pour être réparé, en matière de durée du travail. La Cour de cassation retient que le simple fait que le salarié ait travaillé 50,45 heures au cours d’une semaine lui ouvrait droit à réparation (en plus du paiement des dommages et intérêts). Les juges du droit ont suivi l’avis de l’avocat général en faisant du juge le « garant de la protection des droits fondamentaux des personnes ». L’abandon de la charge du salarié de prouver son préjudice permet d’assurer l’automaticité de la sanction de la violation d’une obligation légale prédéfinie. Ce n’est pas la première fois que la Cour de Cassation écarte le principe de la démonstration d’un préjudice. Ainsi la seule constatation de l'atteinte à la vie privée ouvre aussi droit à réparation. (Cass. soc., 12 novembre 2020, pourvoi n° 19-20.583).

Une décision conforme au droit Européen

Saisie d’une question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 14 octobre 2010, C-243/09) avait été amenée à interpréter l’article susvisé et à dire pour droit que : « Cette directive poursuivant l’objectif de garantir la sécurité et la santé des travailleurs par la prise d’un repos suffisant, le législateur de l’Union a considéré que le dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire, en ce qu’il prive le travailleur d’un tel repos, lui cause, de ce seul fait, un préjudice dès lors qu’il est ainsi porté atteinte à sa sécurité et à sa santé ». 

Quelles conséquences pour les salariés en forfait jours ? 

Le salarié est non seulement en droit de solliciter le paiement des heures supplémentaires mais il peut aussi demander la réparation d’un préjudice distinct. Sur le premier point il convient de rappeler que la charge de la preuve des jours de travail supplémentaires dans le cadre d’une convention de forfait en jours ne pèse spécialement sur aucune des parties selon un arrêt récent de la Cour de cassation (Cass. soc., 2 juin 2021, n° 19-16.067). Comme le rappelle régulièrement la jurisprudence, les conventions encadrant la mise en place des forfaits jours doivent assurer la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos journaliers ou hebdomadaires grâce à un contrôle effectif et fréquent de la réalité du travail effectué. Dès lors qu’il aura établi que la durée maximale de travail a été dépassée, le juge en tant que garant de la protection des droits fondamentaux des personnes aura toute marge d’appréciation sur le montant des dommages et intérêts à allouer.
En définitive, les employeurs doivent effectivement veiller au respect de la durée maximale de travail quotidien et des durées minimales de repos, en cas de dépassement ils encourent non seulement le paiement des heures supplémentaires mais ils devront désormais également à réparer le préjudice nécessairement causé aux salariés. 

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