Révélations chez UBS :  Nicolas Forissier, l’incroyable histoire d’un lanceur d’alerte 

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Révélations chez UBS :  Nicolas Forissier, l’incroyable histoire d’un lanceur d’alerte 
Si la banque suisse UBS a été accusée et condamnée par la justice française à un total de 1,8 milliard d’euros en appel pour démarchage bancaire illégal et blanchiment aggravé de fraude fiscale, c’est notamment grâce à lui. Dans son livre, « L'ennemi intérieur » avec Raphaël Ruffier-Fossoul, Nicolas Forissier décrypte les rouages de la vente illégale de services d’évasion fiscale popularisée par la pratique des fameux « carnets du lait ». Plus important encore, l’ouvrage revient sur le rôle des lanceurs d’alerte dans la société et les risques encourus par ceux qui osent défier le système. 

Cadre Averti - Nicolas Forissier, vous avez mis au grand jour un système qui a perduré pendant des années, avant que la justice française ne s’en mêle et mette la banque suisse en examen, notamment pour blanchiment de fraude fiscale. Que désignent les « Carnets du lait » manuscrits ? Comment les avez-vous découverts ? 

Nicolas Forissier : Les carnets du lait avec leur fichier Excel Vache désignaient le système de comptabilité parallèle mis en place par la banque UBS dès 2002 afin de répertorier toutes les opérations d’évasion fiscale (Simple Money) proposées aux prospects Français. Ce système permettait aux banquiers français de se voir reconnaître leur chiffre d’affaire officieux pour leur bonus de fin d’année.
 
Je les ai découverts grâce aux chargés d’affaires français et suisses qui ont bien voulu m’en dévoiler le fonctionnement et leur contenu avec les noms des clients, dates et montants des opérations.

Cadre Averti - Quels obstacles et difficultés principales avez-vous rencontrés quand vous avez commencé à travailler au sein de UBS France ? Quelles étaient vos fonctions ?

Nicolas Forissier : J’étais chez UBS France SA le Responsable de l’Audit Interne Inspection France de 2001 à 2007 pour l’activité de Gestion de Fortune, puis on a étendu mes prérogatives début 2008 à la Banque d’affaire et à la Gestion d’Actifs. Les principales difficultés auxquelles j’ai été confrontées étaient le mode de fonctionnement de la Banque UBS en système matriciel Vertical ce qui ne permettait pas d’avoir un accès facile aux autres collaborateurs du Groupe France et à l’information.

Cadre Averti - Avant de donner l'alerte, il faut d'abord en parler à son employeur. Dans votre ouvrage vous décrivez une soirée corporate où l’on vous refuse l’entrée. Vous évoquez également les départs organisés de certains collègues. Plus tard, on a conditionné votre licenciement économique à la signature d’une clause de confidentialité… Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui souhaitent lancer une alerte ?

Nicolas Forissier : J’ai révélé cette affaire en juin 2007 à travers un de mes rapports d’audit sur le Département Contrôle de Gestion qui montrait explicitement que j’avais compris. La Direction Générale de l’époque a voulu amender ce rapport ce que j’ai refusé de faire. En 2008, j’ai procédé à deux « whistleblowing » (dénonciation en anglais) en juillet et Décembre 2008.
Alors que je devais être licencié économiquement en 2009, la Banque UBS m’a sorti du plan social pour me proposer une transaction en l’échange de la signature d’une « clause de confidentialité renforcée », ce à quoi je me refusais. Avec mon avocate, Maître Françoise de Saint Sernin, nous avons alors officiellement dénoncé les faits à la DG France le 07 août 2009 par lettre recommandée avec AR. La Banque savait à l’époque que j’allais être témoin cité à comparaître dans le cadre d’une procédure de licenciement de Monsieur Serge Huss, Desk Head de l’Agence de Strasbourg, licencié en 2008 pour les mêmes motifs que moi. Le but de la Banque était de me contraindre à signer un document dans lequel j’aurais reconnu m’être trompé dans mes analyses en l’échange des indemnités du plan social. Ainsi je ne pouvais plus me présenter de manière crédible devant n’importe quelle juridiction.
Le conseil que je donnerais aux futurs lanceurs d’alerte c’est de bien veiller à avoir les preuves de ce qu’ils dénoncent mais surtout d’être accompagnés par des avocats spécialisés dans ce genre de dossier, dès les premiers instants.

Cadre Averti - Vous étiez auditeur interne d’une grande banque mais votre récit ressemble parfois à celui d’espion ou d’un agent double notamment lorsque vous évoquez vos échanges avec la DCRI (le renseignement intérieur). Y a-t-il eu un moment où vous avez eu peur ?

Nicolas Forissier : Effectivement, j’ai collaboré et travaillé avec les services de renseignement intérieur dès 2003. J’ai commencé à avoir peur en 2007 lorsque j’ai subitement perdu le contact de mon ange gardien, un capitaine de police de la DCRI qui me protégeait. C’était en JUIN 2007. J’apprendrai plus tard qu’il a été mis sur la touche sur ordre de l’exécutif de l’époque car je m’approchais de trop près du dossier BETTENCOURT. La pression de 2007 à 2009 a été énorme car j’étais clairement sous surveillance active des services de la DCRI proche du pouvoir en place.

Cadre Averti -  Comment comprendre l’émergence du phénomène des lanceurs d’alerte dans nos sociétés? Y a-t-il selon vous une vraie volonté politique de changer les choses ?

Nicolas Forissier : L’émergence du phénomène des lanceurs d’alerte peut s’expliquer par la volonté du plus grand nombre de ne pas être compromis ou corrompu – Cela s’apparenterait à une désobéissance citoyenne devant la montée des corruptions et de la demande d’exemplarité pour nos dirigeants. 
Malheureusement les lois Sapin sur la protection des lanceurs d’alerte (retranscription de la directive européenne), même si elles nous placent parmi les bons élèves de l’Europe en matière de protection des lanceurs d’alerte, sont totalement annihilées par la loi sur le secret des affaires. Le dossier a été le premier et sera le dernier à être passé devant la justice Française car désormais, les sociétés préféreront utiliser la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC ) ou la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP). Ces procédures de « plaider-coupable » donnent lieu à une transaction avec le procureur de la République et permettent d’éviter le procès. 

Cadre Averti - Vous parlez d’un « calvaire judiciaire de 13 ans ». Comment avez-vous vécu personnellement vos procès, à la fois sur le plan pénal mais aussi aux prud’hommes (puisque vous avez perdu votre emploi) ?

Nicolas Forissier : Le calvaire judiciaire tant au pénal qu’aux prud’hommes réside dans la longueur des procédures et l’utilisation par la partie adverse de tous les baillons possibles et inimaginables notamment la calomnie par voie de presse. Ceci est scandaleux car on se retrouve dans un combat du pot de terre contre le pot de fer. Tenir dans la longueur devient dès lors impossible si vous n’avez pas quelques réserves financières. C’est ainsi que nombre de lanceurs d’alerte abandonnent devant les coûts engendrés par ces procédures. Dans mon cas, la Banque UBS m’a attaqué deux fois en diffamation pour se désister de droit et d’instance la veille des audiences. D’où l’importance encore une fois d’avoir des preuves. 

Cadre Averti - Est-ce que d'autres pays protègent mieux que nous les lanceurs d'alerte ? Croyez-vous à la création d’une législation européenne protégeant les lanceurs d’alerte ?

Nicolas Forissier : Oui, certains pays européens protègent mieux les lanceurs d’alerte, je pense notamment aux pays scandinaves et anglo-saxons, mais avec l’adaptation de la directive européenne, en droit Français, portée par le député Sylvain Waserman, la France a comblé sur le plan législatif une grande partie de son retard (Loi du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte).
Toutefois, la vraie protection des lanceurs d’alerte réside, comme pour la lutte contre la fraude fiscale, dans une réelle volonté politique mais qui n’est pas là au niveau de l’exécutif. En effet les principaux lanceurs d’alerte sont intervenus sur des dossiers sensibles qui mettaient à mal les agissements de certains acteurs publics. 

 

Retrouvez « L'ennemi intérieur » de Nicolas Forissier, Raphaël Ruffier-Fossoul chez Fayard disponible à la Fnac ou sur Amazon et dans toutes les bonnes librairies. 

 

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