Justice prud’homale : un rapport pointe le manque de moyens chroniques !  (Article 1/2)

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Justice prud’homale : un rapport pointe le manque de moyens chroniques !  (Article 1/2)
Passé inaperçu pendant l’été un rapport sénatorial pointe les difficultés chroniques de la justice du travail en France. Les conseils de prud'hommes pâtissent particulièrement du manque de moyens humains et matériels. Malheureusement les dernières réformes de la justice du travail (comme la loi « Macron » du 6 août 2015) n’ont pas porté leurs fruits (quand ce n’est pas l’inverse qui s’est produit).   

Des délais trop longs et trop disparates ! 

Les juridictions prud'homales sont fortement ancrées dans le paysage judiciaire français et constituent l'une des plus anciennes institutions de notre pays. Elles incarnent à la fois la proximité, il existe au moins un conseil de prud'hommes dans chaque département, avec un total de 210 mais aussi le manque de moyens dévolus à la justice. En moyenne, il faudra attendre plus de seize mois pour obtenir justice devant la Justice prud’homale. Un délai plus long que pour toutes les autres juridictions de première instance et qui cache de fortes disparités selon l’endroit où l’on se trouve. Ainsi, selon que le conseil de prud'hommes compétent fonctionne bien ou non, il attendra moins de six mois ou près de deux ans pour que son affaire soit traitée. 
Affaires nouvelles devant CPH

Un taux d'appel des deux tiers

Agnès Canayer, sénatrice, rapporteur du groupe de travail, pointe également un taux d'appel des deux tiers, qui dépasse celui de toutes les autres juridictions, et engorge les cours d'appel et témoigne d'un manque d'acceptabilité des décisions rendues. En outre, le taux d'infirmation en appel est non négligeable. Selon Agnès Canayer : « De nombreux conseillers des chambres sociales des cours d'appel nous ont d'ailleurs dit que, si les jugements pouvaient sembler de bon sens dans la solution retenue, ils péchaient en général par un manque de motivation et de raisonnement juridique ». Si les magistrats professionnels se plaignent de l'absence de motivation ou de la mauvaise qualité des décisions rendues, mais de quels moyens disposent les conseillers prud'homaux pour rendre des décisions de meilleure qualité ? Selon la sénatrice, Nathalie Delattre « à Paris, on ne compte que deux ou trois postes informatiques pour plus de 800 conseillers prud'homaux ! Il est impossible de se connecter de chez soi et d'accéder aux services en ligne des magistrats professionnels. Par ailleurs, les codes du travail ne sont même pas fournis…. ». 

Une organisation Ministérielle défaillante 

Pour la Sénatrice Corinne Féret également rapporteur « La justice prud'homale relève aujourd'hui de la responsabilité croisée de deux ministères. Il conviendrait de simplifier les choses, en confiant la gestion du financement de la formation continue, la gestion des défenseurs syndicaux et le secrétariat du conseil supérieur de la prud'homie au ministère de la justice, le ministère du travail demeurant compétent pour fixer la répartition des sièges entre organisations, sur la base de la mesure de l'audience aux élections professionnelles ».

Une série de propositions concrètes 

La justice prud'homale est, et doit rester, une justice de proximité. La question de l'accessibilité ne se résume toutefois pas à la proximité géographique. En effet, la complexification de la procédure rend difficile, en particulier pour les plus fragiles, la saisine du conseil de prud'hommes. 
Après avoir rappelé la nécessité de conserver le principe selon lequel des juges issus du monde du travail doivent participer à la justice du travail, car ils connaissent le monde du travail pour en être issus, le rapport formule une série de propositions de nature à améliorer le fonctionnement de la justice prud'homale.
  • Il convient, premièrement, d'assurer l'adéquation entre les moyens humains, matériels et budgétaires de la justice prud'homale et sa mission. Cela suppose d'adapter le nombre de conseillers au sein de chaque conseil afin de tenir compte des évolutions démographiques, économiques et contentieuses, mais également de pourvoir suffisamment de postes de greffiers et de juges départiteurs. Raccourcir les délais globaux suppose également de pourvoir suffisamment de postes de conseillers au sein des cours d'appel.
  • Il serait également souhaitable de permettre le recrutement, au sein des conseils de prud'hommes, d'assistants de justice et de juristes assistants pour assister les conseillers et les juges départiteurs dans la préparation des audiences et la rédaction des jugements. Les rapporteurs craignent en effet que la fusion programmée des greffes prive un peu plus cette justice de moyens suffisants.
  • La revalorisation du rôle des conseillers prud'hommes doit également passer par un changement du regard porté sur eux par les magistrats professionnels. Cela peut passer par des symboles, comme le port de la robe en lieu et place de la médaille, à même de réduire l'ascendant que peuvent parfois prendre les avocats sur les conseillers, mais aussi de lisser la différence de fonction qui peut être perçue avec les magistrats professionnels. Cela passe aussi par une réévaluation de leurs conditions d'indemnisation, leur permettant de mieux préparer les audiences en amont, de prendre connaissance des dossiers et de participer à des réunions de travail pour améliorer leurs pratiques. La gestion de cette indemnisation devrait en outre être automatisée pour alléger et simplifier la charge de travail des greffes des conseils.
  • Le groupe de travail parlementaire recommande également la mise en place d'une obligation de formation continue, assurée par l'école nationale de la magistrature (ENM). En effet, seuls les nouveaux conseillers prud'hommes reçoivent une formation initiale minimale. C'est pourquoi le rapport d'information insiste sur la formation, qui permettrait des échanges plus faciles entre les juges professionnels et les juges du monde du travail.
  • Enfin, il est indispensable d'accroître les moyens informatiques des conseils de prud'hommes qui font cruellement défaut à ce jour. 
Rien ne pourra remplacer les spécificités de la justice du travail. Pour autant, la réforme est aujourd'hui nécessaire pour conforter une juridiction écartelée entre ses devoirs et ses moyens.

 

L’avis de cadre averti : 
On peut féliciter les auteurs de ce rapport mais le manque de moyens n’explique pas tout. La justice prud’homale est devenue un casse tête chinois. Le but de la réforme Prud’homale (loi Macron du 6 août 2015 applicable depuis août 2016) était de rendre l’accès au Conseil de Prud’homme beaucoup plus difficile. Au lieu de présenter sa demande lui même, le salarié est désormais dans l’obligation de recourir à un expert pour déposer une requête argumentée en droit (s’il se trompe il doit recommencer à zéro en faisant repartir les délais). On pointe souvent la complexification du droit du travail mais c’est la complexification de la procédure qui empêche les salariés les plus fragiles de saisir la justice. Par ailleurs, l’impact des ordonnances travail (barème Macron) de septembre 2017, imposant aux juges de limiter les dommages et intérêts en cas de licenciement abusif en fonction de l’ancienneté entraine également également une forte baisse des saisines prud’homales. Ainsi, un salarié qui n’a que trois ans d’ancienneté et qui ne peut pas obtenir une indemnisation supérieure à 4 mois de salaire, ne se lancera pas un procès long, complexe et coûteux pour un enjeu aussi faible. Ce qui est incompréhensible c’est qu’avec tous les freins mis en place pour dégouter les salariés de s’adresser à la justice, entrainant une chute considérable des nouvelles affaires, les délais de procédure, eux, ne cessent de s’allonger. Il est urgent redonner des moyens à la justice prud’homale ! 
 

 

Françoise de Saint Sernin, Avocate. 

 

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