Le « client mystère » : espionner ses salariés est désormais autorisé

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Le « client mystère » : espionner ses salariés est désormais autorisé

Les officines qui proposent aux entreprises de contrôler et d’évaluer leurs salariés via la technique du « client mystère » devraient proliférer. La Cour de Cassation vient de valider ce processus de surveillance. Cadre Averti alerte sur les graves dérives prévisibles. Le risque est en effet la démotivation accrue des salariés soumis à une tension insupportable, à force d’être toujours sur le qui-vive, craignant que chaque client ne soit un « client mystère ».

Qu’est-ce que la pratique du « client mystère » ?

Il s’agit d’une technique utilisée par les entreprises pour évaluer la qualité de leurs services, notamment sur le plan des performances commerciales et du respect des procédures. De faux clients, généralement apointés par une entreprise spécialisée dans la fourniture d’enquêtes « mystères » testent les collaborateurs de l’entreprise avec lesquels ils sont en contact. Par la suite, ils rédigent un rapport détaillé de leur expérience, en portant des jugements et des recommandations. Le but affiché est d’aider l’entreprise à améliorer la qualité de ses prestations. On constate que les « clients mystères » disposent d’un grand pouvoir sur les salariés puisqu’ils ne se contentent pas de détecter des fautes, ils procèdent à des évaluations.

Un salarié licencié pour faute grave grâce à l’attestation d’un « client mystère »

La Cour de Cassation a examiné le cas d’un employé de restaurant libre-service qui avait omis de remettre son ticket de caisse à un « client mystère », lequel produisait une attestation permettant de le licencier. Elle constate que « L’employeur produit une fiche d’intervention d’une société, mandatée par lui, pour effectuer des contrôles en tant que « client mystère », dont il résulte qu’aucun ticket de caisse n’a été remis après l’encaissement de la somme demandée » et que « la méthode utilisée par l’employeur était licite, celle-ci est démontrée par la production de la fiche d’intervention de la société mandatée par l’employeur, de sorte que le grief formulé par ce dernier dans la lettre de licenciement est prouvé » (Cass. Soc. 6 septembre 2023, n° 22-19.783).

La méthode d’investigation du « client mystère » licite à la condition que le salarié ait été prévenu à l’avance

Pour déclarer régulière l’attestation établie par le « client mystère » la Cour de Cassation constate que le comité d’entreprise avait été informé du procédé d’investigation et qu’il avait été prévu d’afficher une note d’information aux salariés. Certes, on ne sait pas si le comité d’entreprise a également été consulté, alors que selon l’article L.2312-38 du code du travail « Le comité est informé et consulté préalablement à la mise en œuvre dans l’entreprise, sur les moyens ou techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés ». De même, on ne sait pas s’il a réellement été procédé à un affichage, ce qui a été affiché et si le seul affichage est suffisant au regard des conditions de l’article L.1222-3 « Le salarié est expressément informé, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d’évaluation professionnelle mises en œuvre à son égard ». A l’évidence, le salarié concerné n’avait pas consulté le panneau d’affichage puisque sinon il aurait été plus vigilant lors de la remise des tickets de caisse. 

Tromper le salarié grâce à un faux client n’est plus déloyal

La question qui se pose est de savoir s’il est opportun, pour sa tranquillité d’esprit, de prévenir le salarié à l’avance de l’espionnage dont il va faire l’objet : un drôle de supplice.

La technique du « client mystère » consiste en effet à recourir à un stratagème, en l’occurrence se faire passer pour un véritable client de façon à pouvoir contrôler et évaluer les salariés. Il s’agit donc d’un procédé caractérisant la ruse qui devrait être qualifié de déloyal, ce que ne fait pas la Cour de Cassation au motif que le salarié a oublié de faire valoir cet argument devant la Cour d’appel (et qu’il ne peut donc pas le soutenir pour la première devant la Cour de Cassation).

Pour confondre les salariés malhonnêtes, il existe d’autres moyens de surveillance, licites. C’est le cas de la surveillance vidéo, moyen d’investigation autorisé quand le salarié en est informé, et qui ne repose pas sur la ruse et le stratagème, procédés déloyaux. Par ailleurs, le nombre de salariés commettant des fraudes est, il faut l’espérer, faible, alors que c’est la totalité des salariés qui peuvent faire l’objet d’évaluations incessantes, via l’institutionnalisation de la pratique du « client mystère ».

Evaluation « sauvage » par des « clients mystères » ou comment maintenir les salariés sur le qui-vive constamment

Les officines qui mettent à disposition des entreprises des « salariés mystères » se targuent de faire de l’investigation alors qu’il ne s’agit que d’espionnage. En cas d’investigation, le salarié est au courant. Il peut ainsi être évalué, non pas par un « client mystère » mais par un « client témoin », soit un évaluateur qui lui fera part de sa véritable qualité et qui prendra une posture de client pour tester ses réactions et lui permettre ainsi de progresser, en toute transparence. Avec la pratique du « client mystère » la situation est très différente. Certes, le salarié a été averti à l’avance sur l’existence du dispositif, mais il est placé dans une tension constante, obligé d’exercer un contrôle de tous les instants sur lui-même, avec la crainte que chaque client qui se montre un peu difficile ne soit un « client mystère ». Il n’y a aucun « débriefing » avec les « clients mystère », tout reste dans le secret, et le salarié vit dans la crainte. Est-ce de cette façon que l’on obtiendra le meilleur de sa part ?

Le pouvoir disciplinaire sous-traité aux « clients mystère »

Nous vivons une période de pénurie d’embauches d’un grand nombre de profils. Pour attirer les candidats il faut donner des gages, notamment en matière de RSE (Responsabilité Sociale de l’Entreprise) et prôner un management, non plus vertical mais horizontal : Le manager est là pour accompagner le salarié et lui faciliter la vie. L’entreprise affiche une tolérance zéro en matière de matière de management défectueux ou toxique. Une mauvaise évaluation d’un de ses collaborateurs peut valoir au manager un « signalement » susceptible de dégénérer (voir l'article : « enquête pour harcèlement au travail, comment se défendre de fausses accusations »).

Comme il faut toutefois exercer une autorité sur les salariés, le pouvoir disciplinaire serait de fait sous-traité aux « clients mystère » dont les évaluations effectuées de façon occulte pourront être imposées par l’employeur puisqu’elles auront valeur d’attestation devant la juridiction prud’homale. Dans la mesure où les sociétés d’investigation « client mystère » sont rémunérées par l’employeur, des évaluations/attestations « mystère » ciblées pourront légitimer le licenciement d’un collaborateur sur la sellette.

Seul garde-fou contre la pratique du « client mystère » : les représentants du personnel

Au contraire des enquêtes pour harcèlement, desquelles, selon la Cour de Cassation, on peut exclure les élus, ce n’est pas le cas en matière de dispositif de surveillance des salariés, telle la pratique du « client mystère ». Les membres du CSE doivent, selon l’article L.2312-38, être non seulement informés mais consultés. Il leur appartient de bloquer toutes les dérives résultant de l’autorisation par la Cour de Cassation de la pratique du « client mystère ».

Quel impact la généralisation des contrôles/évaluations « Monsieur mystère » aura-t-elle sur la performance des salariés ?

La performance des salariés est en berne. Forte progression de l’absentéisme (+21 % depuis 2019) (voir l'article « les trois raisons de l’absentéisme en entreprise »), explosion du quiet-quitting/démission silencieuse (37 % selon le dernier baromètre AG2R), baisse de la productivité, particularité française (3 % à rapprocher des 7,4 % de chômage). Les salariés sont dégoûtés. Le fait de les soumettre, via l’exercice du pouvoir disciplinaire au moyen d’officines extérieures, à un management par la défiance inversera-t-il le processus ? Rien n’est moins sûr.

À propos de Cadre Averti

Conçu par Françoise de Saint Sernin, avocate spécialisée dans la défense des intérêts des cadres et dirigeants au sein du cabinet saintsernin-avocats.fr, Cadre Averti a pour ambition de répondre aux premières interrogations de salariés confrontés à un aléa de carrière. Ce site propose ainsi un grand nombre de fiches techniques permettant immédiatement de comprendre les enjeux d’un dossier et de se repérer dans le maquis des textes.

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